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Sheïkh el Islam ibn Taïmiya a dit dans Majmû’ el Fatâwâ (156/4) : « Il est complètement erroné de prétendre que les innovateurs adhèrent à la tendance des anciens. Cela est inconcevable sauf dans la situation où l’ignorance prend le pas sur la science qui se fait rare. »

 

Sheïkh ‘Abd e-Salâm ibn Sâlim e-Suhaïmî  a dit : « À notre époque, certains assument qu’ils adhèrent à la tendance des anciens alors qu’il n’en est rien. Certains s’aventurent même à donner aux mouvements Hisbistes contemporains dont certains adhèrent à la pensée Kharijite, le nom de mouvement Salafî. Ils assument que la Salafiya est le lien commun entre ses mouvements. Tel est le résultat lorsque l’ignorance prend le pas sur la science qui se fait rare comme l’a judicieusement fait remarquer Sheïkh el Islam ibn Taïmiya dans Majmû’ el Fatâwâ. L’autre raison consiste à dire qu’ils veulent simplement diluer, noyer, dissoudre, faire fondre (Tamyî’) la Da’wa Salafiya fondée sur le Coran et la Sunna conformément à la compréhension des Pieux Prédécesseurs. Le but c’est de faire entrer certaines tendances égarées dans le cercle des traditionalistes. »[1]     

 

La définition du Tamyî’ si ce terme accepte de ce faire définir, c’est donc : de faire entrer certaines tendances égarées dans le cercle des traditionalistes. Comme le dit Sheïkh Rabi’, le mot Tamyî’ n’est pas un terme technique dans le sens propre du terme, c’est plutôt un comportement, une caractéristique. Depuis l’apparition des hérésies, aucune secte dont lesMumayyi’ûn seraient les partisans, ne porte ce nom, même s’il est vrai qu’à travers les époques les sectes quelque peu laxistes comme les Murjites (si on considère ce terme comme un terme générique), ont toujours œuvré pour amenuiser le rigorisme à leur yeux de la tendance traditionaliste. Les traditionalistes en effet se caractérisent pour dénoncer et lutter contre toute forme d’hérésie. La meilleure façon pour les conspirateurs innovateurs d’échapper à leur jugement, c’est de se les concilier, d’où l’un des sens du terme Tamyî’. Mais c’est peine perdue d’avance !

 

Pour comprendre ce phénomène qui s’est développé au sein des mouvements Hisbistescontemporains, il faut comme bien souvent revenir quelque peu en arrière. Sans parler dans un cercle plus large des Murjites dont les Ach’arites et les Mâturîdites portent le flambeau à notre époque et des Sûfis (les têtes de files du Tamyî’ bien qu’ils soient intransigeants envers les Salafis), les précurseurs du Tamyî’ s’incarnent dans les deux grands mouvements hérétiques qui ont traversé le vingtième siècle, j’entends par–là, le mouvement Tabrîgh et la confrérie des Frères Musulmans. Sans entrer dans les détails, ces mouvements ne sont réformateurs que dans la mesure où ils innovent des voies dissidentes à la voie orthodoxe. Le premier sous influence Mâturîdites et dans un cercle plus large Murjites est en théorie apolitique. Son message est plus branché sur le mysticisme des Sûfis bien que la voie ascète à gagner indépendamment les deux mouvements. Le deuxième mouvement quant à lui est un mouvement politique. Sous obédience Ach’arites et dans une plus large mesure égalementMurjites, ils ont la prétention d’entrer dans la mêlée de la course au pouvoir avec les outils modernes que leur offrent les occidentaux (parlement, coups d’état, manifestations, attentats terroristes, grève de la faim, boycotte, etc.) basée sur le principe machiavélique : La fin justifie les moyens. Le mouvement a connu des dissidences dont la plus importante est consécutive à la prise de pouvoir par Nasser en Egypte qui jette éperdument les Ikhwans en prison. Deux hommes vont se distinguer durant cette période d’incarcération dont l’un va en réchapper. ‘Ali el ‘Achmâwî et Saïd Qotb (comme me l’a appris Sheïkh Fâlih ibn Nâfi’ elHarbî) ; l’un incarne le cerveau de la nouvelle tendance et l’autre incarne le symbole du martyre et de la réforme Ikhwan. Ils vont ainsi jeter les bases (Qâ’ida) d’une nouvelle tendance. Un troisième homme lui restera dans l’ombre occupé qu’il sera à faire la propagande des livres de son frère. Cet homme n’est autre que Mohammed Qotb.

 

En 1965, après la mort du Shahîd, comme le nomme les Ikhwans, une nouvelle destinée des frères musulmans est tramée. Suite à l’échec de la première tendance, plus pacifique et plus enclin au Sufisme, la tendance new âge plus rationnel aussi bien dans les idées que dans sa spiritualité s’oriente vers l’opposition plus violente au pouvoir. Les frères musulmans se fractionnent entre l’aile modérée (les Bannâî) et l’aile dure (les Qutbî). Les Qutbî eux-mêmes vont connaître une aile ultra : El Ijrâ wa e-Takfir.

 

Deux événements majeurs ont marqué l’évolution des frères Musulmans qui prennent pied en Arabie Saoudite.

Premièrement : l’assassinat de Sadate. Après sa mort, on a fait la chasse aux islamistes dans le vrai sens du terme. Il est naturel que les détenteurs des Lieux Saints accueillent ces exilés démunis. Même s’ils étaient pour certains des dissidents dans leur pays d’origine, au demeurant, ils étaient en apparence des religieux ; le devoir musulman incombait de les aider quelle que fut la cause de leur persécution. Un homme va sortir du lot, il va s’installer à la Mecque et sera le maître à penser d’un des meneurs de la future tendance dissidente, c’est l’égyptien Mohammed Qutb. Je dis l’égyptien car les Qutbî de ce pays sont plus portés par leTakfirisme que leurs coreligionnaires syriens, imprégnés qu’ils sont par le Sufisme. Qutb est le maître à penser du Qutbî Safar el Hawâli.

Deuxièmement : la répression des islamistes en Syrie du président El Asad en 1983 avec les événements de Hama, les ont obligés à se réfugier en Arabie Saoudite pour les mêmes raisons évoquées[2]. Un homme va sortir du lot et se réfugier dans la province d’el Qasîm ; c’est le syrien Mohammed Surûr Zaïn ‘Âbidîn qui est le maître à penser du  Bannâî Salmân el ‘Awda. Retenons que l’égyptien Qutbî est plus porté vers le takfîrisme et que le syrienBannâî est plus enclin au soufisme.

Ces nouveaux arrivants, très bien accueillis, ont eut droit à tous les honneurs. Le plus bel honneur qu’ils se virent gratifier fut celui de l’éducation des enfants du peuple. Il est notoire que les égyptiens soient dans les sciences de la lecture du Coran passés maîtres. Les Syriens sans leur envier cette qualité, étaient quant à eux les rois de la rhétorique et de la syntaxe. Ils occupèrent donc les postes d’enseignant dans deux domaines non négligeables de l’éducation nationale. Ces deux postes clés formèrent des saoudiens avérés dans les sciences de la récitation, et de la langue mais ils étaient pervertis dans les idées (constituant pourtant un patrimoine bien plus crucial).

Un troisième événement est venu accélérer le phénomène du Qotbisme qui est un cocktail entre l’activisme et le soufisme égyptien et syrien d’une part et la croyance orthodoxe ou encore traditionaliste (salafiste) d’autre part que les adversaires de tout bord appellentWahhabisme. C’est ce qu’on appellera le Sururisme. Cet événement c’est la guerre d’Afghanistan. Il a emporter la jeunesse saoudienne ayant un entrain religieux, bien pire il a importé les idées au pays, inculquées dans un climat d’exilés, de déchus, d’activistes acharnés, d’utopistes avérés, de fanatiques invétérés, bref tout ce que peut contenir un endroit où règne l’anarchie et la marginalité, pour des garçons pour la plupart à la fleurs de l’âge. L’un deux s’est distingué par sa richesse et peut-être pour autre chose, les biographes nous le diront ; c’est Oussama ben Laden. Il adhère donc à une mouvance travestie entre le Wahhabisme et leQotbisme que l’on appelle le Sururisme, bien qu’on la nomme à tord le Salafisme.

 

Après ce bref et long aperçu historique, la question qui se pose c’est de savoir qu’est-ce que le Tamyî’ ? En fait, les Sururîs avec à leur tête Salmân el ‘Awda rappelons-le sous influence syrienne et Safar el Hawâli sous influence égyptienne avec ce que cela implique, ont joué la carte de l’adhésion à la religion d’état pour mieux faire passer leur doctrine dans les rangs notamment des saoudiens mais aussi plus généralement des musulmans. Ils se sont érigés en porte-parole de Surur et de Qutb qui ont à travers eux importés leur doctrine qu’ils ont pu ainsi injectées aux saoudiens et dont le premier principe est el Khuruj ‘ala el Hukkâm(les coups d’états ou la révolution).

Ils ont commencé à inculquer des notions comme les Muwâzanatel Hâkimiya, (et le principe Bannâî disant : nous nous accordons sur nos points communs et nous fermons les yeux sur nos différences ; qui est la règle du Tamyî’ par excellence). Ils devaient pour cela redorer le blason de Saïd Qutb aux yeux des salafis intransigeants, et par-là même de faire passer ses idées révolutionnaires basées sur les théories des siècles des lumières en France avec comme instigateurs des noms aussi prestigieux aux yeux du monde que celui de Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, et Diderot l’orateur de la Révolution. Ils sont ainsi les ténors de la réforme, de la séparation de l’Etat et de la religion, et de la laïcité ne l’oublions pas !

 

Les Savants ont vite compris le manège de ces pseudos Salafis. Plus être plus précis, en sachant que la situation était aussi ambiguë que critique, les savants de Médine ont joué le rôle dès le début, (bien que les autres les ont suivis par la suite) de défenseurs inconditionnels de la Da’wa Salâfiya. Pour être encore plus précis, un savant s’est vite distingué parmi ses derniers. D’une perspicacité rare, il s’est rendu compte (alors que des chercheurs français à l’instar de François Burgat ou plus récemment Xavier Ternassien s’en sont rendus compte bien plus tard) que le malaise qui planait sur l’Arabie Saoudite ; les gens n’y voyaient plus ni queue ni tête tellement l’heure était grave ! Il s’est rendu compte que ce malaise s’incarnait en la personne de Saïd Qutb. Cet homme dont la mission fut extraordinaire n’est autre que l’érudit Docteur Sheïkh Rabî’ ibn Hâdi ‘Umaïr el Madkharî. Il avait effectivement mis le doigt au bon endroit. Les plus grands savants du moment n’ont pas fait preuve de tant de perspicacité.

 

Il faut se mettre à l’esprit que nous étions en pleins tourments de la première guerre du Golf ; des groupes de contestation ont vu le jour en Arabie Saoudite même s’ils avaient l’apparat religion, leurs revendications étaient somme toutes très politiques. Dans ce climatSheïkh Rabî’ rédige plusieurs ouvrages pour dénoncer les exactions de Saïd Qutb à tous les niveaux de la religion. Dès lors, les Sururîs n’ayant pas supporté l’affront et surtout sentis attaqués, sont sortis de l’ombre et ont sorti leurs griffes pour s’en prendre à Sheïkh Rabî’ et qu’ils le veuillent ou non à la Da’wa Salâfiya. Mais c’était là commettre une erreur monumentale car à découvert, il n’y avait plus qu’à leur sortir les vers du nez pour annoncer au grand publics contrairement à leurs ambitions qu’ils n’étaient pas des Salafis si ce n’était en apparence. C’est à partir de là, que pour condamner l’envie de la part des Sururîs de réhabiliter  Saïd Qutb aux yeux des Salafis et pour les règles hérétiques qu’ils ont endossé au dogme traditionaliste que le terme Tamyî’ a fait son apparition.

 

Mais bientôt un nouveau phénomène allait voir le jour. En effet, en réaction au Tamyî’ desSururîs (le même phénomène pratiquement s’est produit dans les prisons de Nasser des années soixante lorsqu’en réaction aux Bannâis, un groupe ultra s’est dégagé de la tendance mère : El Ijrâ wa e-Takfir), une nouvelle tendance de Mubtadi’ a fait son éclosion ; lesHaddâdiyûn. Leur virus était plus perfectionné que celui des Sururîs car ils se faisaient passer pour des Salafis par le haut ; c’est-à-dire par le rigorisme (el Ifrât) alors que lesSururîs bien que rigoristes envers les états, faisaient preuves de laxisme (Tafrît) envers les innovateurs.

 

Par conséquent, cette tendance Haddâdîya était impitoyable envers les Mubtadi’, elle l’était tellement que cela l’a poussée à inventer des règles dans l’attitude à adopter envers les innovateurs en s’inspirant des annales des traditionalistes qu’ils prenaient pour argent comptant, tout au moins dans leur sens littéral. Ils sont allés tellement loin dans leur raisonnement qu’ils ont commencé à taxer de Mumayyi’ûn (laxistes) les Salafistes dans leur relation avec les innovateurs comme les Takfiristes et à une moindre mesure les Qotbistesont taxer de Murjites (laxistes) les Salafistes pour leur comportement modéré envers l’état alors que la Salafiya est la tendance médiane entre toutes les tendances à tous les niveaux de la religion…

 

Par : Karim Zentici

 


 

[1] Kun Salafiyan ‘ala el Jadda de Sheïkh ‘Abd e-Salâm e-Sahaïmî.

 

[2] S’il est possible qu’il y ait eu des raisons d’ordre politique, ce sujet ne rentre pas dans le cadre de notre thèse.

E-TAMYÎ’

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