top of page

Voir : Da’wa Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya wa Atharaha ‘alâ el Harakât el Islâmiya el Mu’âsara wa Mawqif el Khusûm minhâ de Sâlih e-Dîn Maqbûl Ahmed.

 

Que les Prières et les Salutations d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed ainsi que sur sa famille et tous ses Compagnons !

 

Les mouvements réformateurs contemporains ont pour père spirituel Jamel e-Dîn el Afghânî (m. 1898) et son disciple Mohammed ‘Abdû (m. 1905). Si Jamel e-Dîn a réellement existé, d’énormes énigmes planent encore sur son identité, et certaines même relèvent de la légende. Serait-il en effet d’origine afghane ou iranienne ? Était-il un sunnite Hanafî ou bien un shiite duodécimain ? Était-il un réformateur musulman ou un prédicateur maçonnique ? Auquel cas, savait-il vraiment ce qu’il faisait ou bien n’était-il qu’un pantin entre les mains des francs-maçons ? Au niveau de son engagement politique, était-il socialiste ou nationaliste ? Est-il mort empoisonné ou bien suite à une négligence lors d’une opération chirurgicale qu’il a subite ? Ses obsèques furent-elles publiques ou bien secrètes ? Connaît-on l’emplacement exact de sa dépouille ? Toutes ses questions réclament autant de réponses que ce personnage mystérieux a peut-être emporté pour certaines, avec lui dans sa tombe.[1]

 

Une chose est sûr, c’est qu’il était d’origine iranienne et qu’il a évolué dans un univers shiite. Il a étudié à Qaswîn, Téhéran, et en Iraq. Tous ses maîtres étaient d’obédience shiite. Il fut même soupçonné d’être de confession ésotérique (Bâtinite), de la secte Bâbiya plus exactement. On lui reprocha même d’être athée pour ses idées au sujet de la prophétie qu’il considérait d’inspiration humaine. Il considérait également qu’il était possible de se contenter du Coran comme source scripturaire de l’Islam au dépend de la Tradition prophétique. Il ne reconnaissait pas non plus les miracles prophétiques, il adhérait au monisme (Wihdat el Wujûd), il appelait à l’union des religions et au rapprochement entre le sunnisme et le chiisme, il avait un discours proche de celui de Darwin sur l’origine et l’évolution de l’homme, etc.

 

Il s’est rallié à la loge maçonnique anglaise qu’il abandonna par la suite pour son manque d’engagement politique avant de se joindre à la loge maçonnique française. Il devint même le président de sa section en 1878, en Egypte où il fonda notamment une loge où se réunissaient les adeptes de différentes confessions (juives et chrétiennes notamment) en vue de prôner la liberté de religion. Politiquement engagé, il eut des activités secrètes et dissidentes dans tous les pays où il se trouvait (l’Inde, l’Afghanistan, l’Iran, l’Egypte et la Turquie). Il monta des organisations secrètes qui avaient pour objectif de monter le peuple contre les autorités en place.

 

Quant à Mohammed ‘Abdû, il prit les rênes de la loge maçonnique en Egypte après la disparition de son maître. Il entreprit plusieurs voyages en Europe et au Moyen-Orient, mais il ne lui vint jamais à l’idée de consacrer le pèlerinage à la Mecque. Considéré alors comme le « grand Muftî », il véhicula les idées de son maître au cœur des plus hautes autorités religieuses comme el Azhar. Il était très laxiste (trop souple) dans les Fatwa qu’il énonçait. Il autorisait notamment de consommer la viande des animaux tués par électricité, comme il autorisait certaines formes de Riba (l’usure). Sur certaines des photos que l’on a retrouvées de lui, il pose avec des européennes dévoilées. Il avait un bagage très léger dans le domaine de la Sunna, mais il était très éclairé dans la philosophie et la pensée occidentale.[2]

 

Or, force est de constater que les mouvements islamiques contemporains font un étrange parallèle entre ces deux personnages controversés et Sheïkh el Islam ibn Taïmiya. Les orientalistes eux-mêmes ont pris le relais en faisant véhiculer un tel amalgame. Pourtant, les œuvres d’ibn Taïmiya sont les témoins vivants de sa pensée qui prônent de revenir scrupuleusement aux sources de l’Islam qu’incarnent le Coran et la Sunna.

 

Contrairement à celui des « penseurs » musulmans contemporains, son prêche est basé sur la croyance sans altération en Allah, en Ses Noms et Attributs, et aux dogmes liés au monde de l’inconnu telles que la croyance à l’Enfer, au Paradis, aux anges, et aux Djinns. Conformiste, il composa son œuvre grandiose Manhaj e-Sunna en réfutations aux égarements des Shiites Rafidhites. Il lacéra également de sa plume acerbe le dogme soufi du monisme auquel adhérait ibn ‘Arabî, à travers des écrits qui le menèrent en prison en 707 h. Il n’épargna pas non plus la philosophie et la logique grecque qu’il réfuta comme jamais personne ne l’avait fait avant lui.[3] Il était l’adversaire acharnée de toutes les formes d’hérésie et de tous les dogmes contraires à l’Islam à commencer par celui des chrétiens, etc.

 

Du côté de l’Inde, le journaliste écrivain Abû Ya’lâ el Mawdûdî (1903-1979) s’érigea en réformateur de l’empire musulman décliné. Ses écrits jetèrent les fondements de l’insurrection contre le colon anglais dans la période entre 1933 et 1941. Virulent activiste, ses articles furent prisés dans les milieux religieux indiens par l’intermédiaire notamment de la revue Turjumân el Qur-ân qui vit le jour en 1932. Le 26 août 1941, il réunit soixante quinze personnalités venant de toute l’Inde à Lâhûr ; celles-ci l’élirent après un vote, à la tête de leur nouveau mouvement qu’elles baptisèrent el Jamâ’a el Islâmiya. Il prit sa retraite trente et un ans plus tard en novembre 1972, mais il garda un œil bienveillant sur son ancienne organisation jusqu’à sa mort.[4] Obstiné par la révolution contre l’ordre établi, il fut plusieurs fois jeté en prison et fut même condamnée à mort en 1953. Il échappa toutefois à cette sentence grâce à la décision du tribunal de le gracier.[5]

 

Certains intellectuels musulmans se plaisent à comparer el Mawdûdî à ibn Taïmiya.[6] Pourtant, il existe une différence énorme entre les deux hommes. Il suffit pour s’en rendre compte de se pencher sur les points principaux qui composent la pensée d’el Mawdûdî et de faire ensuite un parallèle avec celle d’ibn Taïmiya. Abû Ya’lâ fait de la prise du pouvoir une obsession, à tel point qu’à ses yeux le coup d’état est l’acte de dévotion par excellence, et que la mission de tous les prophètes sans exception tourne autour de cette ambition.[7] Parfois il interprète l’Islam selon une conception exclusivement politique et d’autres fois, selon une conception philosophique.[8] Ibn Taïmiya fut confronté à son époque à ce genre d’idée. Son livre Manhâj e-Sunna dans lequel il réfute les idées du Shiite Rafidhîte ibn el Mutahhîr el Hullî, souligne en effet : « Il est faux de dire à l’unanimité des musulmans –shiites et sunnites – que la question du pouvoir est le fondement le plus important de l’Islam. Le prétendre est même une forme d’apostasie étant donné que le fondement le plus important se confine dans la croyance en Allah et à Son Messager. Il est élémentaire que ce fondement soit bien plus crucial que la question du pouvoir… Il faut être un ignorant ou un menteur pour simplement considérer que cette question compte parmi les fondements de la foi. »[9]

 

Influencé qu’il fut par la philosophie grecque et la logique aristotélicienne à l’origine de la pensée occidentale,[10] el Mawdûdî va plus loin dans son raisonnement. Il considère en effet que la prière, le jeûne, l’aumône, le pèlerinage, l’évocation d’Allah, et la lecture du Coran, sont des rituels secondaires ayant pour fonction de se préparer à un rituel fondamental qui consiste à instituer le pouvoir divin sur terre. À la façon d’ibn Sînâ dans el Ishârât, l’adoration selon lui, se met au service de la civilisation et de l’urbanisme.[11] Pour ibn Taïmiya cependant, l’homme génère deux forces en lui : une force théorique au niveau du savoir et une force pratique au niveau de la volonté. Il doit pour s’épanouir dans son cheminement vers Dieu conjuguer entre ces deux forces. D’une part, il doit connaître, aimer, et craindre Son Seigneur et d’autre part, il doit l’adorer Seul et sans lui vouer aucun associer. La mission des prophètes propose d’éduquer les hommes à ces deux niveaux.[12]

 

Quant aux philosophes, ils considèrent que les actes d’adoration ont pour fonction de corriger le comportement et de préparer l’individu à recevoir le savoir qui constitue la perfection de l’âme. Le but étant d’améliorer la vie au foyer et dans la société. C’est ce que l’on appelle la « sagesse pratique ». Les rituels seraient donc de simples moyens et le savoir serait une fin en soi. C’est pourquoi, les rituels n’ont plus de raison d’être pour celui qui a atteint cet objectif comme notamment le soutiennent les ismaéliensBatinites (ésotéristes) pour certains, les soufis, les adeptes du Kalam, et les shiites.[13] El Mawdûdî se permet même de critiquer les grands réformateurs musulmans à l’instar d’ibn Taïmiya qui parsemèrent l’Histoire, car ils n’ont pas réussi à ses yeux le pari de renverser les pouvoirs païens en place, en vue d’instaurer l’état musulman « utopique ».[14]

 

Dans son livre el Khilâfa wa el Mulk, au grand bonheur des shiites et des kharijites Abû Ya’lâ se permet de juger en mal certains Compagnons comme ‘Uthmân ibn ‘Affân, Mu’âwiya ibn Abî Sufiân, Sa’d ibn Abî Waqqâs, ‘Amr ibn el ‘Âs, et ‘Abd Allah ibn Abî Sarh.[15] En pur traditionaliste qu’il était, ibn Taïmiya ne se serait jamais permis d’être aussi téméraire…

 

Traduit par :

Karim ZENTICI

  

 


 

[1] Voir : Da’wa Jamâl e-Dîn el Afghânî fî Mîzân el Islâm de Mustapha Fûzî Ghazâl (p. 198), el Islâm wa el Hadhâra el Gharbiya (p. 74), et Lamahât Ijtimâ’iya fî Târîkh el ‘Irâq el Hadîth (3/313).

 

[2] Voir : Mawqif el ‘Aql wa el ‘Ilm wa e-dîn wa el ‘Âlim min Rabb el ‘Âlamîn de Mustapha Subrî (1/342), el Ittijahât el Wataniya fî el Adab el Mu’âsir du D. Mohammed Mohammed Husaïn (1/329). 

 

[3] Dans son article paru en anglais, Les musulmans et les grandes écoles philosophiques (en 1927), Sulaïmân e-Nadawî avance que les travaux des deux philosophes anglais John Mill et David Hum aboutissent aux mêmes conclusions queSheïkh el Islam ibn Taïmiya dans sa réfutation de la logique aristotélicienne ; il ouvre ainsi la porte à un superbe sujet de recherche.

 

[4] Voir : Abû Ya’lâ el Mawdûdî Fikruh wa Da’watuh d’As’ad Jîlânî (p. 524-525).

 

[5] Voir : l’introduction à Mawqif el Jamâ’a el Islâmiya min el Hadîth e-Nabawî de Mohammed Ismâ’îl e-Salafî (10-11).

 

[6] Voir notamment : Abû Ya’lâ el Mawdûdî Fikruh wa Da’watuh (p. 46).

 

[7] Voir : el Usus el Akhlâqiya li el Haraka el Islâmiya d’el Mawdûdî (p. 16).

 

[8] Voir : e-Tafsîr e-Siyâsî li Islâm d’Abû el Hasan e-Nadâwî

 

[9] Voir : Manhâj e-Sunna d’ibn Taïmiya (1/16626).

 

[10] Il eut notamment comme maître à penser, le philosophe humaniste allemand Hegel, l’auteur de ces paroles : « Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu personnel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature… on ne peut rien trouver dans son caractère qui s’accorde à l’humain. » Georg W. F. Hegel : La raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, Éd.10/18, 1965, p. 234 et 251.

 

[11] Voir : Tanqîd el Masâil de Mohammed el Ghûnadlawî (p. 66-67), et Tafhîmât d’el Mawdûdî (p. 68).

 

[12] Voir : Manhâj el Anbiyâ fî e-Da’wâ ilâ Allah de Sheïkh Rabî’ el Madkhalî.

 

[13] Voir : Majmû’ el Fatâwa d’ibn Taïmiya (9/136).

 

[14] Voir : Mu-jiz Târikh Tajdîd e-Dîn wa Ihyâhih (73-79).

 

[15] Voir : el Khilâfa wa el Mulk fî Mîzân e-Shar’ wa e-Târikh (551-553).

IBN TAÏMIYA ET LES MOUVEMENTS ISLAMIQUES CONTEMPORAINS (1/2)

IBN TAÏMIYA ET LES MOUVEMENTS ISLAMIQUES CONTEMPORAINS (2/2)

 

 

Voir : Da’wa Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya wa Atharaha ‘alâ el Harakât el Islâmiya el Mu’âsara wa Mawqif el Khusûm minhâ de Sâlih e-Dîn Maqbûl Ahmed.

 

Au cours du mois de Dhû el Qi’da de l’année 1347 de l’hégire, une réunion particulière se tint à el Isma’îliya en Égypte dans la maison de Hasan el Banna (1906-1949). Sous l’impulsion de son fondateur, cette réunion donna naissance au grand mouvement égyptien qui allait défrayer la chronique au-delà de ses frontières et tout au long du vingtième siècle ; la confrérie des Frères Musulmans. Six personnages ouvraient grands leurs oreilles au discours de leur leader et les sept personnes présentes dans la pièce en ce moment solennel se firent allégeance pour la cause de l’Islam.[1]

 

Celui qui sera le premier guide du mouvement évolua dans son enfance, dans un univers soufi. Lui-même adhérait à la confrérie Shâdhilite el Hasâfiya. Il monta très vite les échelons dans la secte et il aimait durant ses plus belles heures de dévotion, se rendre à pied au mausolée de son chef spirituel qui se trouvait à Damanhûr à vingt kilomètres de chez lui. Soucieux de réinstaller le Khalifat, il fonda dans un premier temps une association de bienfaisance qu’il dénomma el Jam’iya el Hasâfiya el Khaïriya. Élu secrétaire, il posait ainsi les premiers jalons de son futur mouvement. Il fut très influencé par l’école de pensée des réformateurs Jamel e-Dîn el Afghânî  et Mohammed ‘Abdû.[2]

 

Certains observateurs essayèrent en vain de faire la comparaison entre la Da’wa d’ibn Taïmiya et pour certains avec son lointain élève Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb[3] et celle de Hasan el Banna.[4]S’il est vrai que les Frères Musulmans ont fait des efforts non négligeables dans des domaines tels que la politique, l’économie et de la défense de l’Islam à une époque où l’influence occidentale faisait rage à travers la colonisation, il n’est pas possible d’en dire autant dans des domaines bien plus importants. Bien qu’ils aient inculqué une certaine prise de conscience à leurs concitoyens, il aurait fallu pour se conformer à la voie des prophètes et des grands réformateurs musulmans, se concentrer sur le dogme (la‘Aqîda) et sur le retour à la source. Ils auraient conjugué leurs efforts afin de les sortir des ténèbres de l’association et de l’innovation dans lesquels ils étaient plongés, pour les mener vers la lumière de l’unicité et de la Tradition.[5] Le prêche d’ibn Taïmiya était un prêche Salafi (traditionaliste).[6] Il était axé sur le retour aux enseignements du Coran et de la Sunna selon la compréhension des pieux prédécesseurs à tous les niveaux de la religion (le dogme, les rites, les relations, la politique, l’état, l’économie, la sociologie, etc.).

 

La Da’wa d’ibn Taïmiya était ainsi axée sur deux grands points fondamentaux : il cherchait à purifier les hommes de toutes les souillures qui entachaient l’unicité d’Allah au niveau de la ‘Aqîda et de leur imitation aveugle à une école quelconque au niveau notamment du Figh (les rituels).

Alors que le premier guide des Frères Musulmans considère que les Textes liés aux Noms et aux Attributs divins relèvent des questions ambiguës du dogme (el Mutashâbih),[7] ibn Taïmiya établit qu’ils sont formels (Muhkam).[8] Hasan el Banna ne se contente pas de cela, il affirme par ailleurs à la manière des néo-Ash’arites, qu’il faut s’en remettre au Tafwîdh concernant le sens des Textes liés aux Noms et Attributs divins ; dans le sens où ils sont incompréhensibles et où Seul Allah est à même d’en pénétrer le sens.[9] Pourtant, selon ibn Taïmiya, les partisans du Tafwîdh qui se revendiquent du chemin des anciens, sont les partisans d’une des pensées les plus hérétiques de l’Islam.[10] Il faudrait plutôt les compter dans le camp des « négateurs » (eNufât), [11] bien qu’ils se revendiquent du juste milieu.

 

Alors que dans ses mémoires, el Banna fait l’apologie du soufisme,[12] Sheïkh el Islam fut l’un de ses plus grands détracteurs. Il dévoila notamment au grand jour les aberrations de la confrérie Rifâ’iya .[13] Cela n’a pas empêché Sa’îd Hawa, l’un des leaders syriens du mouvement d’en faire l’éloge. Il s’en prit également à l’éducation soufie façon el Ghazâlî.[14] Tout au long de son parcourt, el Banna n’a pas échappé à ses origines soufies à tel point que dans ses mémoires, il vante les mérites de son « excursion spirituelle » au mausolée de Damanhûr.[15] À l’inverse, ibn Taïmiya condamne sévèrement ce genre de pratiques.[16] Sa position dérangea tellement les soufies de l’époque, qu’ils montèrent contre lui les autorités qui le jetèrent en prison en 722 h.

 

Le quinzième fondement parmi el Usûl el ‘Ishrîn (les vingt fondements) qu’el Banna a institué à ses adeptes, stipule clairement qu’il n’y a aucun inconvénient à solliciter le secours d’Allah par l’intermédiaire de l’une de ses créatures (e-Tawassul), au cours des invocations. La question selon lui ne devrait pas soulever autant les passions étant donné qu’à ses yeux, celle-ci est subsidiaire dans le sens où elle n’est pas liée au dogme.[17] Ibn Taïmiya a tellement traité de cette question dans ses différents ouvrages, qu’on a l’impression que ses réfutations s’adressent directement à el Banna.[18] S’il est autorisé en effet de solliciter Allah par l’intermédiaire de l’invocation de l’un de ses serviteurs, on ne peut pas en dire autant quant à le faire par l’intermédiaire de sa personne. Cette nuance touche au cœur du dogme. L’invocateur doit s’appuyer sur des œuvres pieuses qu’elles proviennent de lui ou d’un autre, mais il ne doit pas se tourner vers les mérites qu’une personne concède auprès d’Allah.[19] Quant à avoir recours au e-Tawassul par l’intermédiaire du Prophète, il faut mettre en avant l’amour, l’attachement ou la fidélité qu’on lui porte, non y avoir recourt par l’intermédiaire de sa propre personne.[20]

 

Dans un but d’unir les efforts contre l’ennemi commun, el Banna entreprit certaines initiatives en vue d’un rapprochement entre les chiites et les sunnites.[21] Il a ainsi institué un usage que les différents guidesIkhwans vont reprendre après lui. C’est tout naturellement que le mouvement accueillit à bras ouverts la révolution iranienne de 1979. C’est pourquoi, ils se mirent du côté de Khomaïnî au cours de la guerre qui l’opposait à l’Iraq. Quelques années plus tard, ils allaient considérer Saddam Hussaïn l’ennemi du passé, comme le Saladin du moment.[22] Or, dans son fameux Manhâj e-Sunna, ibn Taïmiya relate l’animosité viscérale que les shiites éprouvent vis-à-vis du sunnisme à tel point qu’ils s’allient toujours avec les ennemis de l’Islam contre ses adeptes. Il souligne notamment : « Si les Juifs parviennent à fonder un empire en Iraq ou ailleurs, les Rafidhites seront parmi leurs plus grands alliés. Ces derniers s’allient constamment avec les mécréants parmi les païens, les Juifs, et les chrétiens pour combattre les musulmans, et ils leur viennent toujours en aide. »[23]

 

Des personnages emblématiques de la secte Ikhwân comme Saïd Qutb et son frère Mohammed reconnaissent que le mouvement accuse une énorme défaillance au niveau de la ‘Aqîda et qu’il fallait refaire l’éducation du peuples à la base (el Qâ’ida) avant de se lancer dans l’arène de l’insurrection.[24]S’il est courant pour un mouvement quelconque de reprendre à son compte les mérites d’une grande personnalité, il est surprenant toutefois de s’aventurer à dire qu’elle avait ses limites. C’est en tout cas le constat audacieux que s’avance à faire ‘Omar e-Tlimsânî –tout comme l’avait fait un certain el Mawdûdî - dans sa comparaison opportune entre Hasan el Banna son leader suprême et Sheïkh el Islam. [25] Ibn Taïmiya n’est pas parfait certes, mais de là à considérer qu’il manquait de pratique, comparé au fondateur des Frères Musulmans qui réussit à former les martyres pour la cause, c’est vraiment se mettre un bandeau sur les yeux. El Banna aurait-il laissé une plus grande empreinte dans l’histoire de l’humanité, sous prétexte qu’ibn Taïmiya n’avait pas sous la main les moyens de communication actuels ! Ne devrons-nous pas dire plutôt que l’amour rend aveugle !

 

Traduit par :

Karim ZENTICI        

 

 

 


 

[1] Voir les mémoires d’el Banna : Mudhakkarât e-Da’wa wa e-Dâ’iya d’el Banna (p. 72).

 

[2] Idem. (p. 182).

 

[3] Voir : Da’wa el Ikhwân (p. 68).

 

[4] Voir : el Fikr e-Tarbawî du D. Mâjid el Kîlânî (p. 12). Dans la même page, l’auteur assume qu’ibn Taïmiya influença deux grandes écoles activistes contemporaines ; celle d’el Mawdûdî et de Saïd Qutb après lui et celle de l’algérien Mâlik ben Nabi.

 

[5] Voir : Manhâj el Anbiyâ fî e-Da’wâ ilâ Allah de Sheïkh Rabî’ el Madkhalî (101-102).

 

[6] Hasan el Banna se plaisait à dire qu’il suivait la voie Salafi mais il n’a jamais renoncé à son attachement soufi comme il l’avoue lui-même dans Nidhâm el Usar wa Nidhâm e-Ta’lîm (p. 12).

 

[7] Sharh el Usûl el ‘Ishrîn (p. 39).

 

[8] Voir : el Iklîl fî el Mutashâbih wa e-Ta-wîl (p. 33-50).

 

[9] Voir : Majmû’a Rasâil Hasan el Banna (p. 498).

 

[10] Voir : el ‘Aql wa e-Naql (p. 125).

 

[11] Voir : e-Risâla e-Tadmûriya (p. 30).

 

[12] Voir : Mudhakkarât e-Da’wa wa e-Dâ’iya (27, 28).

 

[13] Voir : Majmû’ el Fatâwa d’ibn Taïmiya (11/445-475).

 

[14] Idem. (11/465-467) et (2/55-57).

 

[15] Voir les mémoires d’el Banna : Mudhakkarât e-Da’wa wa e-Dâ’iya (p. 33).

 

[16] Voir : e-Rad ‘alâ el Ikhnâî (12-15).

 

[17] Voir notamment : Sharh el Usûl el ‘Ishrîn (p. 47).

 

[18] Voir : notamment : Majmû’ el Fatâwa (1/260).

 

[19] Voir : Qâ’ida Jalîla fî e-Tawassul wa el Wasîla (p. 52, 129, 152).

 

[20] Voir : Majmû’ el Fatâwa (1/264).

 

[21] Voir : el Mulhim el Mahwib Hasan el Banna de ‘Omar e-Tlimsânî (p. 78) et Mawqif ‘Ulama el Muslimîn min e-Shî’a wa e-Thawrat el Islâmiya (p. 13, 15).

 

[22] Voir : Da’wa el Ikhwân (p. 113-120).

 

[23] Voir : Manhâj e-Sunna (3/378). 

 

[24] Voir pour Saïd Qutb le troisième numéro de la revue el Muslimûn parue en 1405 h. et Wâqi’unâ el Mu’âsir de Mohammed Qutb (p. 410, 411, 417, et 419). En fait, les deux hommes posèrent les fondements d’une troisième voie entre l’Ikhwanisme et le traditionalisme que ses adeptes affilient à tord au Salafisme ! Ce mouvement Jihadiste fit ses premiers pas avec el Hijra wa e-Takfîr mais il prit d’autres formes et fut connus sous d’autres noms comme le Qutbisme, le surûrisme (en référence à son fondateur syrien Mohammed Surûr Zaïn el ‘Âbidîn), et dernièrement la nébuleuse el Qâ’ida.

 

[25] Voir : Hâkadha ‘Allamanî el Ikhwân el Muslimûn (3-4).

©2015 Tous droits réservés.

  • Twitter App Icon
  • Facebook Social Icon
bottom of page