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Au nom d’Allah le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

L’Imam Ahmed et le ta-wîl

 

Voir :el ashâ’ira fî mîzân ahl e-sunna (p. 584-590) de Faïsal el Jâsim.

 

Nos deux auteurs évoquent un texte dans lequel l’Imam Ahmed interprète le majî (la venue d’Allah le Jour de la Résurrection) en disant : « Dans el bidâya wa e-nihâya de l’Imam el Hâfizh ibn Kathîr nous retrouvons le texte suivant : « D’après el Baïhaqî, selon el Hâkim, selon ‘Amr ibn e-Sammâk, selon Hanbal : Ahmed ibn Hanbal interpréta (ta-awwala) le Verset : [Ton Seigneur viendra],[1] en parlant de Sa récompense. El Baïhaqî fait le commentaire suivant : « Il n’y a rien à reprocher à sa chaîne narrative. » Ibn el jawzî, selon el Qâdhî Abû Ya’lâ rapporte selon l’Imam Ahmed les paroles suivantes concernant le Verset : [Attendent-ils qu’Allah leur vienne dans l’ombre d’un nuage][2] : il s’agit de Sa Puissance et de Son Ordre. »[3]

 

Nous pouvons dire en réponse :

 

Premièrement : Cette version de Hanbal, en supposant qu’elle soit authentique, ne fait que relater la polémique qui eut lieu entre l’Imam et les jahmites. À la suite des paroles qu’ibn el jawzî rapporte selon el Qâdhî Abû Ya’lâ, ibn Taïmiya fait remarquer : « Cette annale que rapporte el Qâdhî et d’autres, et disant que Hanbal la fait remonter à l’Imam Ahmed dans son livre el mihna, fut dite à l’occasion de la polémique qui se déroula à la période de la « cabale » d’Ahmed. Ses adversaires en effet retournèrent contre lui ses paroles disant que les sourates la vache, et la famille ‘Imrân viendront ce jour-là. Pourtant, soulevèrent-ils, le terme majî (la venue) est propre à la création. En réfutation, Ahmed fustigea que : [Ton Seigneur viendra],[4] ou [ou bien que ne vienne Ton Seigneur].[5] Il dit ensuite : « S’agissant de la vache et de la famille ‘Imrân, la venue a le sens de récompense, de la même manière qu’il s’agit pour [Ton Seigneur viendrade Son Ordre et de Sa Puissance. »[6]

 

Ainsi, Ahmed a prononcé ces paroles en réfutation aux arguments de ses adversaires qui utilisaient ses propres paroles contre lui. Il l’a dit, comme le veut l’art de la polémique, par condescendance. C’est une technique bien connue. Les jahmites interprétaient la venue d’Allah par la venue de Sa récompense non qu’Il puisse venir Lui-même. Il ne s’agissait pas forcément selon eux, de la création (passage obscur ndt.). Dès lors, il les affronta avec ce principe. Ainsi, il leur expliqua qu’Allah parle également du majî pour décrire le Coran, dans le hadîth : « la vacheet la famille ‘Imrân viendront [le Jour de la Résurrection]… » Allah se décrit Lui-même de la même façon, mais cela ne veut pas dire que Sa Parole est créée. Il faut prendre la venue du Coran, dit-il, dans le sens de la récompense, de la même manière que vous interprétez la venue du Seigneur par Son Ordre et Sa Puissance.

 

L’Imam s’est exprimé ainsi en vue de confronter leurs arguments et de renvoyer contre eux les mêmes qu’ils utilisent contre lui, non qu’il y adhère réellement. Utiliser certains arguments dans une polémique ne veut pas dire forcément que leur auteur en fait sa tendance.

 

Deuxièmement : Cette annale est contraire à la tendance communément transmise de l’Imam Ahmed dans ce domaine, et disant qu’il incombe de prendre les Attributs au sens littéral, sans leur opposer aucun ta-wîl (interprétation) au autre. Ce même Hanbal rapporte que l’Imam condamne formellement le ta-wîl et ne l’autorisa en aucun cas.

Hanbal ibn Ishâq dit en effet : « J’ai demandé à Abû ‘Abd Allah : Allah descend au premier ciel ?

-      Oui répondit-il.

-      Il descend par Son Savoir ou par autre chose ?

-      Tais-toi, me rétorqua-t-il en entrant dans une colère énorme. Pourquoi entres-tu dans ces choses-là ? Récite le Hadîth comme il fut rapporté sans faire de description (bi lâ kaïf). »[7]

 

Hanbal dit également : « J’ai interrogé Abû ‘Abd Allah sur les hadîth disant qu’Allah (I) descend au premier ciel, qu’Il sera vue, qu’Il posera Son pied [sur l’Enfer], etc.

-      Nous y croyons, répondit-il, nous y donnons foi, et ne les contestons en rien. Nous savons que les paroles du Messager d’Allah, dont les chaînes narratives sont authentiques, sont vraies. Nous ne démentons pas les Paroles d’Allah. Nous n’allons pas au-delà de la description qu’Il se fait de Lui-même, sans parler de limite ou de contour (hadd) ni de fin ou d’extrémité (ghâya). Rien ne Lui ressemble, Il est certes, Voyant et Entendant.

 

Hanbal rapporte ailleurs selon Ahmed : « Rien ne Lui ressemble au niveau de Son Essence, comme Il s’est décrit Lui-même. Allah donna un sens général à Ses Attributs. Il définit (hadda)l’un de Ses Attributs qui ne ressemblent à rien d’autre. Ses Attributs ne peuvent se limiter à nos définitions ou ils ne sont pas délimités (ghaïr mahdûda)et Ils nous sont inconnus sauf ce qu’Il nous en décrit.

Il dit : Il est Voyant et Entendant sans parler de hadd ni faire d’approximation (taqdîr). Personne ne peut le décrire comme il convient, nous n’allons pas au-delà du Coran et du Hadîth. Nous répétons scrupuleusement les Paroles d’Allah et nous le décrivons comme Il se décrit Lui-même sans aller au-delà. Personne ne peut le décrire comme il convient. Nous croyons au Coran en entier ; Ses Versets formels et Ses Versets ambigus. Nous ne lui enlevons pas un Attribut sous prétexte qu’il déclenche la colère de certains (traduction approximative ndt.).

Les Attributs par lesquels Allah se qualifie, comme Sa Parole, Son Nuzûl (descente au premier ciel), Son entretien en privé avec chacune de Ses créatures le Jour de la Résurrection. Il se reprochera de Son Serviteur et posera sur lui Son Kanaf.[8] Tout cela démontre qu’il sera vu dans l’au-delà.»[9]

 

El Qâdhî Abû Ya’lâ fait savoir : « Yûsuf ibn Mûsâ a dit : on demanda à Abû ‘Abd Allah : Allah descend au premier ciel de la façon dont Il le veut sans en faire de description ?

-      oui acquiesça-t-il. »[10]

ishâq ibn Mansûr affirme, quant à lui : « J’ai interrogé Ahmed en ces termes : Notre Seigneur (Y) descend chaque nuit au premier ciel, au dernier tiers de la nuit. Est-il vrai que tu es d’accord avec ses hadîth ?

-      Oui, confirma-t-il. »

Pour sa part, Ahmed ibn el Husaïn ibn Hassân a dit : « On demanda à Abû ‘Abd Allah : Allah (I) descend chaque nuit au premier ciel ?

-      oui.

-      Au cours de sha’bân également, comme le rapportent les annales ?

-      Oui. »

 

El Qâdhî Abû Ya’lâ rapporte : « Ahmed s’adresse par courrier à Musaddad en disant : Allah (U) descend toutes les nuits au premier ciel, sans quitter le ‘Arsh. »

El Qâdhî explique ensuite : « Ahmed affirme explicitement qu’Allah ne quitte pas le Trône. Nous disons la même chose pour le Verset : [Ton Seigneur viendra].[11] Autrement dit, Il viendra Lui-même (thâtuhu) sans pour autant qu’il n’y ait de déplacement (intiqâl : ce passage mérite de plus amples éclaircissements sauf si son auteur veut dire : «  sans qu’Il ne quitte le Trône » ndt.).[12]

 

Ainsi, il est évident à travers les paroles d’Ahmed disant qu’Allah ne quitte pas Son Trône, qu’il prend le nuzûl au sens propre. C’est donc Allah qui descend non Son Ordre ou un ange. Or, celui qui ne reconnait pas qu’Allah soit au-dessus de Son Trône, dénigrera foncièrement qu’Il puisse descendre au premier ciel, peu importe qu’Il le fasse en quittant le Trône ou non, or :

 

Troisièmement : cette annale est d’autant plus singulière qu’elle est rapportée par Hanbal. Ibn el Qaïyim dit à son sujet : « Il se distingue souvent par des annales qui vont à l’encontre de l’opinion connue du madhhab [de l’Imam]. S’il est seul à rapporter une annale qui va à l’encontre de la tendance la plus répandue [de l’Imam], el Khallâl et son ami ‘Abd el ‘Âzîz ne donne pas leur aval à sa version. »[13]

 

Ibn Taïmiya déclare également : « Telle est la version de Hanbal. Personne d’autre que lui, ayant rapporté le débat dans el mihnane la rapporte, à l’exemple de ‘Abd Allah et Sâlih les fils d’Ahmed, el Marwazî, etc. »[14] L’Imam Ahmed lui-même n’en fait pas mention dans son fameux radd ‘alâ el jahmiya, où il parle pourtant des arguments de l’adversaire issus du hadîth pour valider l’idée que le Coran est créé.

 

Nos deux auteurs sont parvenus à nous mijoter un mets dont ils en ont le secret. À la suite des paroles d’ibn Taïmiya précédemment cités, ils en arrivent à la conclusion suivante : « Le fait que selon l’opinion la plus connue de l’Imam Ahmed, ce dernier ne voit pas le ta-wîl, cela ne s’oppose nullement à l’autre version. Un Imam peut très bien avoir une opinion communément transmise et, avoir, au même moment, une opinion beaucoup moins connue. Et cela est d’autant plus vrai quand les deux opinions ne se contredisent pas, comme c’est le cas ici. Certes, les anciens nous ont véhiculé qu’ils condamnaient le ta-wîl et de s’arroger contre les textes, mais, cela ne leur empêchaient pas d’interpréter certains termes. Il n’y a donc aucun mal à avoir recours à l’un ou à l’autre procédé. »

 

Il va sans dire que ce commentaire ne respecte aucune démarche scientifique, pour ne pas dire intellectuelle. L’Imam Ahmed et les anciens en général, en effet, ne se contentaient pas de simplement condamner le ta-wîl, mais ils le faisaient sévèrement. Ils allaient jusqu’à taxer tout individu qui s’y initiait d’innovateur. Ils ordonnaient de l’exclure et mettaient en garde contre lui. Mieux, ils établirent qu’il y avait consensus sur la question…

 

Traduit par :

Karim Zentici

   

 

 

 

 

[1] L’aurore ; 22

 

[2] La vache ; 210

 

[3] Ahl e-sunna el ashâ’ira shahâda ‘ulama el umma wa adilatihim (p. 237).

 

[4] L’aurore ; 22

 

[5] Le bétail ; 158

 

[6] Majmû’ el fatâwa (16/405).

 

[7]Rapporté par ibn Battâ dans el ibâna (3/242), e-Lalakâî (3/453), et el Qâdhî Abû Ya’lâ lui-même dans ibtâl e-ta-wilât(1/260).

 

[8] Au sens figuré, kanaf ou kunf signifie être sous l’égide ou sous l’aile de… Au sens propre, il signifie, côté, flanc, voire main. Dans ce contexte, selon l’Imam Ahmed, il est à prendre au sens propre, contrairement à ibn el Athîr dansgharîb el hadîthwa Allah a’lam ! (N. du T.)

 

[9] Ibn Qudâma impute cette annale à e-sunna d’el Khallâl dans dham e-ta’wîl (p. 21) ;  ibn Taïmiya la rapporte également dans darr e-ta’ârudh (1/254) et bayân talbîs el jahmiya (1/431), ainsi qu’ibn el Qaïyim dans ijtimâ’ el juyûsh el islâmiya (p. 211).

 

[10] ibtâl e-ta-wilât (1/260).

 

[11] L’aurore ; 22

 

[12] ibtâl e-ta-wilât (1/261).

 

[13] Mukhtasar e-Sawâ’îq el mursala (2/260).

 

[14] Majmû’ el fatâwa (5/399).

L’IMAM AHMED ET LE TA-WÎL

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