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Mohammed Rashîd Ridâ explique : « La preuve céleste n’est pas établie contre celui qui ne comprend pas la prédication… Cette question fut l’objet d’une divergence entre les grands savants contemporains du Najd lors d’une assemblée de l’Imam ‘Abd el ‘Azîz ibn ‘Abd e-Rahmân ibn Faïsal Âl Sa’ûd à La Mecque. l’argument le plus fort fut en faveur du Sheïkh‘Abd Allah ibn Bulaïhid disant qu’il était essentiel de comprendre la preuve céleste afin qu’elle soit établie ; sa présence en elle-même ne suffisait pas si elle n’était pas comprise. Pour appuyer ses dires, ce dernier s’inspira d’un passage d’ibn el Qaïyim – qu’Allah lui fasse miséricorde – qui était clair sur la question. Il parvint ainsi à convaincre les autres membres de l’assemblée. »[1]

 

Il fait certainement allusion au passage d’ibn el Qaïyim dans tarîq el hijrataïn et disant que l’iqâma el hujja varie en fonction des époques, des lieux et des personnes. La preuve d’Allah peut ainsi s’appliquer à certaines époques, à certains endroits et contre certaines personnes ; elle ne s’applique pas contre l’enfant, le fou, celui qui a du mal à comprendre le message et qui n’a personne sous la main pour lui expliquer (ou pour lui traduire) en termes compréhensibles. Le cas échéant, il est comme le malentendant qui, ne comprenant pas ce qu’on lui dit, compte parmi les quatre catégories qui, le Jour de la Résurrection, auront un prétexte devant Allah.[2]

 

Une citation d’Ishâq ibn ‘Abd e-Rahmân vient conforter cette hypothèse. Celle-ci concorde exactement avec la conclusion que nous avons apportée dans l’articleÉclaircissement. Voici ce qu’elle dit en parlant du fameux passage de tarîq el hijrataïn : « … ibn el Qaïyim fait uniquement exception à ceux qui n’ont pas accès à la vérité, bien qu’ils la recherchent activement. C’est de ces derniers dont fait allusion les textes des grands spécialistes comme Sheïkh el Islam et son élève. »[3] Il s’attaque ainsi au cœur des revendications d’ibn Jarsîs prétendant, en s’appuyant sur des textes de ces deux Imams, que tous les ignorants sans détail sont excusables. Ainsi, comme nous l’expliquions, l’ignorance n’est pas une excuse en elle-même, mais l’incapacité d’avoir accès à la vérité, à condition, bien sûr, de la rechercher.

 

SheïkhSulaïman ibn Sahmân rapporte les paroles suivantes d’ibn Jarsîs :« Il n’est pas simple de kaffar le musulman. Les savants, comme Sheïkh ibn Taïmiya et ibn el Qaïyim, sont unanimes à dire que l’ignorant et celui qui commet une erreur et appartenant à cette communauté, fait un acte qui, en principe doit le rendremushrik ou kâfir, est excusable (ya’dhur bi el jahl wa el khata), jusqu’à ce qu’il ait connaissance de la preuve prophétique de façon claire et limpide et qu’il n’ait aucune confusion sur la question. » Puis, il explique : « Quant à taxer de kâfir un musulman, nous avons vu que les wahhabites ne kaffar pas les musulmans.Sheikh Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb – qu’Allah lui fasse miséricorde – fait partie des gens qui prennent le plus de précautions avant de se prononcer sur letakfîr, à tel point qu’il n’est pas formel sur l’ignorant qui implore un autre qu’Allah parmi les occupants des tombes ou autres, s’il ne trouve personne pour le conseiller et pour lui faire parvenir la hujja par laquelle tous ceux qui s’y opposent deviennent mécréant. »[4]

 

Il rapporte également un long passage de tarîq el hijrataïn et qui pose la lumière sur les différentes formes de suivisme aveugle. Puis, il conclu avec une citation de sonSheïkh ‘Abd e-Lâtîf que voici : « … ibn el Qaïyim fait uniquement exception à ceux qui n’ont pas accès à la vérité, bien qu’ils la recherchent activement. C’est de ces derniers dont fait allusion les textes des grands spécialistes comme Sheïkh el Islam et son élève. »[5]

 

Sheïkh ‘Abd Allah Abû Batîn explique à ce sujet : « Prétendre que le Prophète (r) ou un autre peut sauver du châtiment d’Allah ou qu’il peut prendre Sa place est une forme de mécréance manifeste. Nous taxons tout fautif de mécréant après le lui avoir expliqué, s’il est ignorant. »[6] ‘Abd e-Latîf réfute l’accusation selon laquelle l’Imam sortait les gens de la religion sans faire de détails. Il explique qu’il ne se prononce même pas sur celui qui adore l’idole se trouvant sur la tombe d’Abd el Qâdir et celle d’el Badawî en raison de leur ignorance. Il ne diffère en rien de la voie du Prophète (r), sauf que son discours sera plus ou moins détaillé en fonction de la situation.[7]

 

Ailleurs, il met en lumière les véritables intentions d’ibn Taïmiya et d’ibn el Qaïyim sur la question : « Le discours des deux Sheïkh est suffisamment clair dans tous les passages en question. Ces derniers ne kaffar pas les auteurs de certaines paroles ou de certains actes, étant donné que la chose n’est pas facile à détecter pour ces gens-là, et qu’ils n’ont pas reçu la hujja. Ainsi, ils s’abstiennent de condamner certains fautifs au châtiment avant l’étape de l’iqâma el hujja. Ils parlent de questions bien précises et sur lesquelles il existe une divergence entre les savants de la communauté.

 

Quant à l’invocation et l’appel au secours des morts, en s’orientant vers eux lors des moments difficiles, tout le monde s’accorde à dire que c’est interdit et que cela relève de la grande association. Nous avons vu précédemment que le Sheïkh condamne à la peine de mort quiconque refuse de s’en repentir… »[8]

 

Le problème, c’est que Dâwûd ibn Jarsîs ne pénètre pas ces nuances. Il attribue à ibn Taïmiya et à son élève un discours erroné. Il s’imagine qu’ils ne condamnent pas ces pratiques païennes. Pire, il s’imagine que l’erreur dans ces domaines rapporte une récompense dans l’absolu à celui qui n’en a pas connaissance. Or, il incombe de distinguer entre l’acte auquel le Législateur donne le statut d’« association », de « mécréance » ou de « perversité »  et la personne. Le fait qu’une personne peut être excusable, cela ne rend en aucun cas son acte louable. Il y a une différence entre le statut d’un acte et le statut de son auteur.[9]

 

Sheïkh ‘Abd Allah Abâ Btîn se chargea de réfuter la tendance erronée et véhiculée par Dâwûd ibn Jarsîs et ibn ‘Ajlân. Ces deux hommes l’imputaient à ibn Taïmiya et son élève ibn el Qaïyim. Ils prétendaient que l’erreur d’interprétation rapportait systématiquement une récompense en plus du fait qu’elle était excusable. Ils voulaient faire passer l’idée que seul un obstiné pouvait sortir de l’Islam. Le suivisme aveugle et l’ignorance seraient, à leurs yeux, dans tous les cas excusables.

 

Voici un passage de la réfutation qu’il leur consacra : « Ceux qui polémiquent en faveur des païens s’inspirent de l’histoire de l’homme ayant demandé à sa famille de brûler son corps après sa mort. Ils en concluent que l’ignorant ayant commis un acte de mécréance (kufr) est excusable. Seul un obstiné, à leurs yeux(mu’ânid), peut devenir mécréant…

 

Dans les ouvrages de figh, les légistes – qu’Allah leur fasse miséricorde – définissent l’apostat comme suit : un musulman qui renie sa religion dans les paroles, les actes, la croyance, ou par scepticisme. Or, c’est l’ignorance qui est la cause du scepticisme. Cela impliquerait de ne pas kaffar les Juifs, les chrétiens, ceux qui se prosternent pour le soleil, la lune, et les idoles en raison de leur ignorance ! On devrait dire la même chose pour ceux qu’Ali ibn Abî Tâlib a condamnés au bûché, alors que nul ne doute qu’ils fussent des ignorants. Les savants – qu’Allah leur fasse miséricorde – sont unanimes à sortir de la religion celui qui ne kaffar pas les Juifs et les chrétiens ou qui tout simplement douterait de leur mécréance. Pourtant, nous sommes convaincus que la plupart d’entre eux sont des ignorants…

 

Donner une excuse à celui qui commet du kufr par une erreur d’interprétation (ta-wîl), un effort d’interprétation (ijtihâd), une erreur involontaire (khata), par suivisme ou par ignorance, c’est aller à l’encontre du Coran de la sunna et du consensus. Il n’y a aucun doute là-dessus ! Sans compter que les partisans de cette tendance sont obligés d’aller à l’encontre de leur propre principe. Sinon, nul doute qu’ils deviennent eux-mêmes des mécréants. C’est du même ordre que de s’abstenir dekaffar celui qui doute de la mission de Mohammed (r).

Quant à l’homme qui demanda à sa famille de brûler son corps après sa mort, Allah lui pardonna certes, bien qu’il doutait d’un Attribut divin. La raison, c’est que la preuve céleste ne lui était pas parvenue sur le sujet, comme le prétend plus d’un savant.

 SheïkhTaq-ï e-Dîn [ibn Taïmiya] – qu’Allah lui fasse miséricorde – explique qu’en doutant d’un des Attributs du Seigneur on devient mécréant ; dans le cas d’un individu qui n’est pas censé ignorer ce point. Ce statut n’englobe pas celui qui n’est pas censé le savoir. C’est la raison pour laquelle le Prophète (r) n’a pas kaffarl’homme ayant douté pourtant du Pouvoir d’Allah, étant donné que la preuve céleste ne lui était pas parvenue. »[10]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

[1]majmû’ e-rasâil e-najdiya (5/514-519).

 

[2]Tarîq el hijrataïn (p. 414).

 

[3]‘aqîda el muwahhidîn wa e-radd ‘alâ e-dhullâl el mubtadi’în (p. 164).

 

[4]Dhiyâ e-Shâriq (p. 371-372).

 

[5]Idem. (p. 85-90).

 

[6]Majmû’ e-rasâil wa el masâil (2/3/130).

 

[7]Voir : misbâh e-zhalâm (p. 43).

 

[8]Voir : minhâj e-ta-sîs (p. 265).

 

[9]Idem.

 

[10]El intisâr li hisb Allah el muwahhidîn (p. 16-18) ; voir également : e-durar e-saniya (12/72-73) et (12/85). Je reviendrais plus tard in shâ Allah sur ce discours Abâ Btîn qui peut poser problème pour un lecteur non averti.

IBN EL QAÏYIM ET LE ‘UDHR BI EL JAHL (1/3)

IBN EL QAÏYIM ET LE ‘UDHR BI EL JAHL (2/3)

L’Imam Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb reproche à Dawûd ibn Jarsîs d’adhérer à la tendance selon laquelle toute erreur est excusable ou toute interprétation des textes est tolérable, comme s’il n’existait aucune interprétation condamnable (ta-wîl bâtil ou fâsid). Il souligne que les textes d’ibn Taïmiya qu’il utilise ne vont absolument pas dans le sens qu’il lui donne.[1]

 

‘Abd e-Latîf ibn ‘Abd e-Rahmân dit pour sa part : « En commettant une erreur par une mauvaise interprétation (ta-wîl)ou par ignorance, on n’est pas excusable, sauf celui qui est incapable d’avoir accès à la vérité. C’est la raison pour laquelle ibn el Qaïyim précise : « une interprétation qui est excusable ». Il ne parle pas de n’importe quelle interprétation et de n’importe quelle ignorance. Les péchés ne sont pas tous à mettre au compte de l’interprétation et n’offrent pas forcément l’excuse de l’ignorance.

Nous avons vu plus haut que, depuis l’époque de Nûh, la plupart des mécréants (kuffâr) et des païens (mushrikîn) étaient motivés par l’ignorance et une mauvaise interprétation. Nous pouvons dire la même chose pour les adeptes du panthéisme et du monisme et les autres sectes soufies. Les adorateurs des tombes et les mushrikîn, sur lesquels porte la divergence, sont également animés par le ta-wîl… et les chrétiens également. »[2]

 

Ailleurs, Sheïkh ‘Abd e-Lâtîf signe : « … ibn el Qaïyim fait uniquement exception à ceux qui n’ont pas accès à la vérité, bien qu’ils la recherchent activement. C’est de ces derniers dont fait allusion les textes des grands spécialistes comme Sheïkh el Islam et son élève. »[3]

 

Or, nous avons expliqué à maintes reprises que ces choses sont relatives. Comme le souligne ibn el Qaïyim lui-même, l’iqâma el hujja varie en fonction des époques, des lieux et des personnes.[4]

 

Malheureusement, le fameux passage de Tarîq el hijrataïnest parfois mal interprété. Ibn el Qaïyim, pourtant, dévoile ses intentions. Son texte parle d’ahl el fatra, non des musulmans. Texte que je remets ici : « L’Islam, c’est l’unicité d’Allah et Son adoration unique sans lui vouer d’associé ; il consiste également à croire en Allah et à Son Messager (r) et à suivre ses enseignements. Quiconque ne fournit pas cela n’est pas un musulman. Si, certes, il n’est pas un mécréant renieur (kâfir jâhîd), c’est un mécréant ignorant (kâfir jâhil). »[5] Qu’entend ibn el Qaïyim par kâfir jâhil ? La réponse se trouve deux pages plus loin où l’auteur nous y dévoile ses intentions en ces termes : « Allah (U) ne châtie personne avant l’iqâma el hujja,comme le formule les Versets : [Nous n’allions châtier personne avant d’envoyer un messager],[6] [Des messagers avertisseurs et annonciateurs afin que les hommes ne puissent opposer à Allah aucun argument après leur venue].[7] Nombreux sont les exemples de ce genre dans le Coran qui nous informe que seul celui qui a reçu le message d’un prophète mérite le châtiment dans la mesure où la preuve divine est appliquée contre lui, et qui correspond au pécheur qui reconnait sa faute. »[8]

La page suivante, il explique encore plus en détail : « Deux individus méritent le châtiment : le premier consiste à se détourner de la preuve d’Allah par négligence et à ne pas la vouloir ni la mettre en pratique ni mettre en pratique ce qu’elle implique. Le deuxième consiste à s’en détourner par orgueil après l’avoir reçue et à délaisser ses implications.

Le premier c’est du kufr i’râdh,

Et le deuxième, c’est du kufr ‘inâd.

Quant au kufr el jahl sans que la preuve d’Allah ne soit venue et sans n’avoir la possibilité d’y avoir accès, c’est ce genre de kufr au sujet duquel Allah n’applique pas le châtiment, pas avant que la preuve prophétique ne soit établie. »[9]

 

Il n’est donc pas question du kufr juhûd, mais du kufr jahl. Dans ce même raisonnement, l’adversaire se sert de certaines paroles de ce même ibn el Qaïyim pour dire que le muqallid (suiveur) ignorant n’est pas excusé par son ignorance. Mais, en réalité, ce même ibn el Qaïyim relativise son discours. Il précise ailleurs en effet, en parlant des adeptes des sectes (khawârijmu’tazilamurjiya, etc.) qu’ils sont plusieurs catégories d’individus. L’un d’entre eux est un muqallid ignorant qui n’a aucune clairvoyance ; dans son cas, il ne devient ni kâfir, ni fâsiq (pervers), et on ne doit pas refuser son témoignage, étant donné qu’il n’est pas en mesure d’étudier la vérité.[10] Il n’est donc pas question d’une manzila baïna el manzilataïn !

 

Il distingue donc entre le muqallid ignorant de l’époque de la fatra qui est un kâfir jâhil et le muqallid ignorant parmi les musulmans. Et quand bien même son discours engloberait également les muqallid musulmans, il fait allusion à une catégorie bien déterminée, qui est soit de se détourner de la vérité par négligence comme nous l’avons vu avec le kufr i’râdh et tafrît soit de s’en détourner par orgueil, comme nous l’avons vu avec le kufr ‘inâd. L’élève d’ibn Taïmiya nous met en garde de confondre entre les deux formes de muqallid ; entre celui qui a la possibilité d’apprendre et celui qui n’en a pas la possibilité, ce qui rejoint notre raisonnement.

 

Il explique que ces deux catégories d’individus existent bel et bien et que le premier n’est en aucun cas excusable.[11] Il explique ailleurs que la deuxième catégorie d’individu a un autre statut.[12] Si c’est un muqallid jâhil, il est effectivement un mécréant qui est excusable dans le sens où le Jour de la résurrection il sera éprouvé pour rejoindre ensuite soit le Paradis soit l’Enfer. Et si c’est un muqallidmusulman, il est excusable dans le sens où il ne perd pas son affiliation à la religion (ism) et son statut d’adepte de l’Islam (hukm), wa Allah a’lam !

 

Les différentes catégories d’individus

 

Pour mieux cerner la divergence sur la question qui règne entre savants, il incombe de mettre en lumière un certain nombre de points.

 

Premièrement : selon l’opinion la plus répandue des traditionalistes, celui qui n’a jamais entendu parler de la législation mohammadienne, et qui en d’autres termes n’a pas reçu la preuve céleste est excusable indépendamment de savoir dans quelle époque et à quel endroit il se trouve. Dès lors, la religion à laquelle il adhère sur terre (juive, chrétienne, païenne) aura une influence sur la relation que nous aurons avec lui.

 

Quant à son statut dans l’au-delà, il est le même qu’ahl el fatra (l’intervalle entre deux périodes prophétiques). Selon la tendance la plus vraisemblable, cette catégorie d’individus sera éprouvée le Jour de la résurrection ; celui qui passera cette épreuve gagnera le Paradis et celui qui échouera sera jeté en Enfer. Allah (I) révèle à ce sujet : [Nous n’allions châtier personne avant d’envoyer un messager].[13]

 

Deuxièmement : il existe plusieurs catégories de mécréants et païens ayant reçu le message prophétique et la preuve céleste, mais qui ensuite n’ont pas embrassé l’Islam :

 

1-      Ceux qui ont renié le message par orgueil.

2-      Ceux qui ne portent pas attention à cette religion et qui s’en détournent.

3-      Ceux qui suivent aveuglément (taqlid) leurs ancêtres, et qui, pour préserver leur rang et leur richesse, ont renoncé à la foi.

 

Il va sans dire que ces trois catégories d’individus ne sont pas musulmans (Juifs, chrétiens, idolâtres, etc.), mais des mécréants d’origine (kuffar asliyun). Ce constat est l’un des principes élémentaires de la religion musulmane.

 

Troisièmement : un adepte de l’Islam qui commet de la grande association délibérément et en tout âme et conscience. Ce cas est le même que les précédents.

 

Quatrièmement : ici se situe la divergence. Autrement dit, est-ce qu’un adepte de l’Islam qui commet une annulation de la religion par erreur (khata), interprétation (ta-wil) ou par ignorance est un mécréant ou devient un apostat ? Ou bien faut-il attendre avant de le condamner qu’il comprenne la preuve céleste ?

 

Les anciens et les grandes références traditionalistes établissent que l’iqâma elhujja est une condition requise avant de se prononcer sur un cas particulier. Il n’existe pas de divergences sur le principe en lui-même, comme nous l’avons vu dans Éclaircissement. Cependant, certains textes des savants de aimmat e-da’wa(les imams de la da’wa najidte) laissent à penser le contraire. Le problème, c’est qu’il faut distinguer dans leur discours entre le statut absolu (hukm el mutlaq) d’un acte et son application sur un cas particulier (hukm el mu’ayin) qui varie en fonction des contextes. Par exemple, Sheikh Mohammed ibn ‘Abd el Wahhab et ses élèves condamnent certains de leurs opposants à la mécréance ou à l’association, étant donné qu’ils se sont chargés eux-mêmes d’établir la preuve céleste contre eux.

 

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

[1]kashf e-shubhataïn (p. 80-81).

 

[2]Minhâj e-ta-sîs (p. 45).

 

[3] Idem. (p. 85-90).

 

[4] Tarîq el hijrataïn (p. 414).

 

[5] Tarîq el hijrataïn (p. 411). Mithat ibn el Hasan Âl el farrâj est l’auteur de la recension du livre kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd de Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb. Mu par un certain zèle, ce qui peut être compréhensible, il reproduit les paroles d’ibn el Qaïyim que nous venons de citer, mais il ne fait pas l’effort de tourner les deux pages suivantes, où il aurait découvert pourtant les vraies intentions de l’auteur.

 

[6]Le voyage nocturne ; 15 voir les tafsîr d’e-Tabarî et d’ibn Kathîr.

 

[7]Les femmes ; 165 voir les tafsîr d’el Baghawî et de Shanqîtî.

 

[8]Tarîq el hijrataïn (p. 413).

 

[9]Tarîq el hijrataïn (p. 414).

 

[10]El Qâsimî a rapporté ses paroles dans son tafsîr (5/1309).

 

[11]Tarîq el hijrataïn (p. 412).

 

[12]E-tafsîr el qaïyim (p. 359-360).

 

[13]Le voyage nocturne ; 15 voir les tafsîr d’e-Tabarî et d’ibn Kathîr.

IBN EL QAÏYIM ET LE ‘UDHR BI EL JAHL (3/3)

Sheïkhe-Sa’dî, qui était un spécialiste des ouvrages d’ibn el Qaïyim, nous enseigne que notre relation sera différente avec les deux sortes d’individus suivants : les mécréants d’origine qui ne sont pas affiliés à l’Islam et les musulmans qui commettent une annulation de l’Islam. Concernant la première catégorie, aucune distinction n’est faite entre le savant et l’ignorant, dans le sens où tous les deux sont voués à l’Enfer éternel. Pour la deuxième catégorie, les textes du Coran et de lasunna expriment que les erreurs non intentionnelles commises tant dans les usûlsque les furû’ constituent une circonstance atténuante avant de se prononcer sur un cas particulier.[1] Le shirk akbar ne fait pas exception à la règle.

 

Ailleurs, il explique : « En un mot, en démentant (takdhîb) Allah ou en démentant Son Messager dans les enseignements qu’il rapporte, on devient mécréant ; ou bien, en n’adhérant pas (lam yaltazim) aux commandements d’Allah et de Son Messager. Toutes ces choses s’opposent à la foi conformément au Coran et à la sunna. Tous les discours des légistes expliquant en détail les formes d’annulations reconnues de l’Islam reviennent à cette cause. »[2] La cause en question, c’est le takdhîb ou ‘adam el iltizâm. Il veut dire que l’origine du kufr a lieu soit au niveau du qawl el qalb, comme chez les chrétiens et certains païens arabes soit au niveau de ‘amal el qalb comme pour Pharaon et les Juifs et de nombreux païens arabes qui connaissaient la vérité, mais qui s’étaient laissé aveugler par l’orgueil et l’obstination.

 

L’érudit e-Sa’dî a dit également dans son débat sur le takfîr d’un cas particulier ayant commis un « acte » de mécréance : « Vous avez évoqué, en vous appuyant sur les textes du Coran et de la sunna et du consensus que l’invocation et l’appel au secours des idoles relèvent de la mécréance et de l’association menant à l’Enfer éternel. Point sur lequel il n’y a aucun doute. En revanche, vous mettez sur le même pied d’égalité toutes les formes d’ignorance. D’un coté, nous avons les différentes confessions mécréantes (juive, chrétienne, etc.qui ne donnent pas foi à la prophétie de Mohammed (r). D’un autre coté, nous avons les ignorants qui donnent foi à tous ses enseignements et qui adhèrent pleinement à son obéissance. Cependant, ces derniers commettent l’association sans s’en rendre compte, en invoquant une créature. Ils pensent ainsi rendre hommage à la personne qu’ils invoquent. À leurs yeux, c’est la religion elle-même qui le leur réclame.

 

Or, faire une telle comparaison est une erreur grossière. Elle va à l’encontre des textes scripturaires (Coran et sunna), du consensus des Compagnons et de leurs fidèles successeurs (tâbi’în)Il est en effet connu de façon élémentaire par tous les musulmans que tous les ignorants mécréants, dont les juifs et les chrétiens, sont voués à l’Enfer éternel. Personne ne peut le contester. L’autre catégorie concerne ceux qui donnent foi à tous les enseignements du Prophète (r)et qui adhèrent totalement à sa religion, mais qui font une erreur dans la croyance, les paroles et les actes soit par ignorance, une mauvaise interprétation ou par suivisme. Allah révèle à leur sujet : [Seigneur ! Ne nous tiens pas rigueur de nos erreurs et de nos oublis].[3]

 

La communauté mohammadienne est soulagée des fautes commises par erreur, oubli, ou sous la contrainte. Ainsi, en règle générale, nous taxons de mécréant celui qui commet une faute relevant de la mécréance dans les paroles et la croyance. Cependant, nous pouvons nous abstenir de nous prononcer dans certains cas si une restriction comme l’ignorance vient changer la donne. Il échappe à certains fautifs que leurs actes relèvent de la mécréance ou de l’association. C’est ce qui nous pousse à nous abstenir de les kaffar en personne, bien qu’au même moment nous soyons convaincus qu’ils ont commis du kufr.

 

C’est de cette façon que les Compagnons et leurs successeurs directs(tâbi’în)se comportèrent envers l’innovation (la bid’a). Dès leur époque, plusieurs mouvements hérétiques (kharijismemu’atazilismeqadarisme, etc.) virent le jour. Tous s’accordaient à aller à l’encontre des textes scripturaires de l’Islam. Ils les démentaient et les falsifiaient pour les faire aller dans leur sens, ce qui en soi est un acte de mécréance. Cependant, les anciens s’abstinrent de les sortir un à un de la religion. Ils étaient en effet motivés par une mauvaise interprétation des textes. Les kharijitesdémentaient les textes sur l’intercession et ceux démontrant que les auteurs des grands péchés étaient affiliés à la foi. C’est ce qui les poussa à autoriser moralement (istihlâlle sang des Compagnons et des musulmans en général. Les mu’tazilites également démentaient les textes sur l’intercession en faveur des auteurs des grands péchés, ils démentaient la prédestinée, les Attributs divins, etc.

 

Il n’y a aucune différence entre ces formes d’apostasie et celle préconisant d’invoquer et de demander secours aux morts. Le ta-wîl est leur dénominateur commun. Dans de nombreux ouvrages (e-radd ‘alâ el bakrîe-radd ‘alâ el Akhnâî, etc.) Sheïkh el Islâm affirme explicitement que certains de ses contemporains, qui étaient des savants, adhéraient à certaines de ces pratiques païennes. Il explique qu’il est impossible de les kaffar,compte tenue de la propagation de l’ignorance à son époque et de l’atténuation du savoir prophétique. Il faut donc attendre avant de se prononcer de leur démontrer la preuve céleste qui s’applique contre tous ceux qui la renient après l’avoir eu entre les mains. Son discours sur le sujet est connu par tout le monde.

 

Il devient clair que l’ignorance, le suivisme aveugle, et la mauvaise interprétation des textes – non basée sur l’obstination – sont des facteurs atténuants. Ils nous empêchent de condamner ces cas particuliers à l’apostasie…

 

… dire que le Verset en question, et bien d’autres arguments textuels, font allusion aux erreurs commises dans les questions subsidiaires de la religion, non sur les questions élémentaires est une allégation dénouée de tout fondement. Ni le Coran ni le Prophète (r) ne font cette distinction.[4]Nous avons souligné plus haut que les anciens n’ont pas kaffar les premiers innovateurs dont les erreurs d’interprétation touchaient aux questions élémentaires de la religion, comme les Attributs parfaits d’Allah. Le tawhîd tourne autour de deux principes : la reconnaissance de ces fameux Attributs et l’unicité du culte.

 

Si nous donnons des circonstances atténuantes à un cas particulier qui fait des erreurs (ignorance, mauvaises interprétations des textes, et suivisme aveugle)dans le premier domaine, nous devons le faire pour celles qui touchent au second ; et cela, pour les mêmes raisons. La restriction qui est valable pour l’un est aussi valable pour l’autre. La mission du Messager (r) portait indistinctement sur ces deux domaines. Les hérétiques de sa communauté se sont égarés dans l’un ou l’autre domaine, voire dans les deux à la fois. Ils vont à l’encontre des enseignements connus de façon élémentaire par tous les musulmans. Le Prophète (r) avait pourtant mis en garde contre l’hérésie. C'est pourquoi s’obstiner à renier ses enseignements qui touchent à ces deux domaines, après en avoir eu connaissance, relève de la mécréance incontestable.

Un musulman qui adhère à l’Islam au niveau du cœur et des actes peut s’égarer dans certains points, car il n’a pas les éléments en mains pour le faire parvenir à la vérité. Dans ce cas, nous ne sommes pas formels sur son apostasie, étant donné qu’il existe une restriction faisant obstacle à cette condamnation. D’où l’importance d’établir contre lui la preuve céleste ; une preuve céleste qui s’applique contre tout obstiné (mu’ânid).[5]

 

C’est pour cette raison, et vous êtes d’accords avec nous, que nous nous sommes abstenus dekaffar certains cas comme e-Sarsarî, qui appellent à invoquer, à rechercher le secours du Prophète (r), et lui demander de répondre aux besoins. Ces derniers sont directement concernés par les paroles de Sheïkh el Islamauxquelles nous avons fait allusion précédemment.

 

Par ailleurs, vous dites qu’il n’y a pas la moindre hésitation à kaffar celui qui renie la Résurrection, comme le révèlent les textes du Coran et de la sunna. Ils ne font pas la différence, selon vos dires, entre le fait d’être motivé ou non par l’obstination.

Ce à quoi nous pouvons répondre que cette question est du même registre. Les erreurs d’interprétation offrent des circonstances atténuantes. Ces erreurs sont courantes dans le domaine des Attributs divins et de l’Unicité chez beaucoup de ceux qui donnent foi à tous les enseignements du Prophète (r). Cependant, il est rare de trouver quelqu’un qui renie la Résurrection [tant elle coule de source]. Malgré cela, en supposant qu’un bédouin ou un nouveau converti n’en ait pas connaissance, nous devons le mettre au courant. C’est seulement après cette démarche que nous pourrons le sortir de l’Islam.

 

Quiconque croit en Allah et à Son Messager, et qui adhère totalement à leur obéissance, mais qui renie un enseignement de la religion par ignorance (il peut ignorer que le Messager l’ait apporté), nous devons nous abstenir de nous prononcer sur son cas. Nous reconnaissons que son acte fait sortir de la religion, mais il bénéficie d’une circonstance atténuante, qui est l’ignorance. Il n’y a pas de différence en cela entre les questions élémentaires et les questions subsidiaires de la religion. La mécréance consiste à renier tout au partie les enseignements du Prophète (r) et en toute âme et conscience. Ainsi, nous pouvons mieux distinguer entre un suiveur mécréant[6]et un croyant qui renie un enseignement de la religion, soit par égarement et ignorance, soit par obstination et en toute connaissance de cause. » [7]

 

Wa Allah a’lam !

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 


 

[1]El irshâd ilâ ma’rifat el ahkâm (p. 556-558).

 

[2]El irshâd ilâ ma’rifa el ahkâm (p. 210).

 

[3]La vache ; 286

 

[4]Voir pour une explication détaillée de ce principe : majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (23/346-347).

 

[5]Voir : majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (12/180).

 

[6]Voir : tarîq el hijrataïn d’ibn el Qaïyim (411-412).

 

[7]fatâwâ e-sa’diya (578-584) ; voir : El irshâd ilâ ma’rifat el ahkâm (p. 558-559).

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