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Louange à Allah, le Seigneur de l’Univers ! Que les Prières d’Allah et Son Salut soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !

 

Le ‘urdh bi el jahl, (l’excuse de l’ignorance) en tant que principe, est reconnu par tous les savants. Pour une approche objective d’un sujet aussi complexe, il incombe de garder en tête un certain nombre de choses :

 

• C’est le genre de questions pour lesquelles il ne convient pas de condamner d’innovateur l’adversaire, en le traitant soit de murji soit de kharijite, dans la mesure où il compte dans les rangs des traditionalistes, et que son objectif est la recherche de la vérité, loin de tout esprit partisan. C’est le seul moyen de ne pas sombrer dans un dialogue de sourd. Il ne s’agit pas de remettre en question les intentions de l’adversaire sous prétexte soit qu’il n’est pas suffisamment jaloux du tawhîd, soit de lui imposer des implications auxquelles il n’adhère pas.

 

• Il faut tenir compte du principe de précaution, cher aux anciens et que résume cet adage : il vaut mieux pardonner par erreur que de condamner par erreur. Cela ne remet nullement en question le principe de l’amour en Dieu (el walâ wa el barâ).

 

• Il vaut se méfier de la croyancemu’atazilite selon laquelle les notions du bien et du mal peuvent être perceptibles sans passer par la Révélation.

 

• Il est à craindre également d’hésiter à considérer musulmans certains adeptes de notre communauté, bien que la Preuve céleste (iqâma el hujja) ne soit pas établie contre eux.

 

• Considérer l’excuse de l’ignorance avant de se prononcer sur un cas particulier sans faire de distinction entre les formes de kufr (shirk ou autre) ne signifie pas qu’il faut confiner la mécréance dans le juhûd comme le font les murjites dont notamment Ibrahim ibn ‘Ajlân, un opposant à la da’wa. C’est du moins, ce que comprend L’Imam ibn Battîn.[1] La preuve qu’il n’en est pas ainsi, c’est que certains chercheurs universitaires qui épousent cette idée, considèrent mécréant le gouverneur qui légifère des lois positives. C’est la fameuse question du tashrî’.

 

• Considérer l’excuse de l’ignorance avant de se prononcer sur un cas particulier sans faire de distinction entre les formes de kufr (shirk ou autre) ne signifie pas forcément qu’on épouse les idées de Dâwûd ibn Jarsîs, un opposant à la da’wa najdite. Ce dernier considérait que certaines formes d’adoration des tombes n’étaient pas du registre du shirk akbar. Par ailleurs, il voulait faire croire qu’ibn Taïmiya et son élève ibn el Qayïm n’autorisaient pas le takfîr el mu’aïyin. Ce qui n’est absolument pas le cas des chercheurs actuels.

 

• L’ignorance n’est pas une excuse en elle-même, mais il faut tenir compte d’un facteur qui est extérieur à l’individu et qui est indépendant de sa volonté, soit l’impossibilité d’avoir accès au savoir, pour une raison ou pour une autre. En sachant que ce facteur n’est pas constant, dans le sens où il est évolutif. Ainsi, comme nous l’avons déjà vu, un ignorant qui se détourne du savoir ou qui n’a pas la volonté d’apprendre et de poser des questions aux savants n’est pas excusable. D’autre part, après iqâma el hujja, l’ignorance n’est plus un facteur atténuant.

 

• Dans la pratique, c’est au savant de trancher sur les cas particuliers, et c’est aux autorités en place de prendre des décisions en conséquence. En sachant que les points de vue sont différents en fonction des endroits, des époques et des personnes.

 

• Il faut distinguer également entre le statut d’une personne dans l’absolu (hukm el mutlaq) et un cas particulier (hukm el mu’aïyin).

 

• La question du ‘udhr bi el jahl est indissociable avec deux autres questions, qui sont le ‘udhr bi el khata (excuse de l’erreur) et le ‘udhr bi e-ta-wîl (l’erreur d’interprétation). En se penchant sur la position des anciens par rapport aux sectes (jahmitemu’ataziliterâfidhitekharijites, etc.), nous verrons que ces derniers ne les mettaient pas tous dans le même panier. Ils entraient plutôt dans le détail en se prononçant au cas par cas, dans le sens où ils avaient des avis différents en fonction des types d’individus.

 

• Selon certains chercheurs, le ‘udhr bi el jahl n’est pas pris en compte pour les questions qui s’opposent aux grands principes de l’Islam (se prosterner devant une idole, le soleil ou la lune, renier la prophétie de Mohammed (r), renier la Résurrection, prétendre qu’Allah a une compagne ou un fils, imputer la divinité à des humains comme certaines sectes bâtinites (ésotériques), prétendre que certains hommes ont le droit de s’affranchir de la religion de Mohammed, etc.) Cela ne concerne pas certains détails dushirk. L’essentiel, c’est que l’individu reconnaisse les grands principes de l’Islam, comme l’obligation de fournir le tawhid et de condamner le shirk, même si dans sa mise en application il se contredit, dans la mesure où la loi céleste n’est pas établie contre lui.

 

Si tous ces points sont établis, nous disons donc qu’en faisant une étude approfondie sur le principe du ‘udhr bi el jahl, il en ressort qu’il englobe tous les domaines de la religion, en commençant par ses fondements (usul). Selon plusieurs savants contemporains (el Albânî, el ‘Uthaïmîn, Mohammed Amân el Jâmî, ‘Abd el Muhsin el ‘Abbâd, Rabî’ ibn Hâdî el Madkhalî, Muqbil el Wâdi’î, etc.) et plusieurs chercheurs universitaires dont les thèses furent encadrées par des grands Sheïkh, comme ‘Abd e-Rahmân el Barrâq, et Sheïkh e-Luhaïdân, cette tendance est celle d’ibn Taïmiya, ibn el Qaïyim, de Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb, et aimma e-da’wa qui ne font pas la distinction entre le shirk et la croyance (‘aqîda) et les autres annulations de l’Islam dans les questions d’iqâma el hujja et du ‘udhr bi el jahl, concernant les cas suivants ; le nouveau converti, le bédouin qui vit loin des villes, et par analogie, celui qui vit dans un pays où les prédicateurs font mal leur travail et où le shirk est manifeste.

 

Or, ce n’est pas le cas pour celui qui vit au milieu des musulmans et dans un pays où la vraie science est répandue. Dans ce dernier cas, les savants distinguent entre les questions évidentes (zhâhira) qui ne touche pas que le domaine du shirk et de la ‘aqîda, et les questions subtiles (khafiya). Cette voie, qui tient compte de certains critères prévus par la religion, est exactement conforme à celle des anciens.

 

Quant à l’autre tendance, elle ne tient pas compte du ‘udhr bi el jahl dans les usûl et les domaines sur lesquels règne un consensus, et plus particulièrement le shirk. Or, cette distinction ne se base sur aucun texte précis du Coran et de la sunna, si ce n’est des Versets et de hadîth qui expriment des notions générales. Il n’est pas pertinent de mettre en avant que cette tendance est la bonne, car elle fut adoptée par certains savants de lada’wa najdite. Comme le signale Ishâq ibn ‘Abd e-Rahmân lui-même, la référence se confine dans le Coran, la sunna, et le consensus des savants. Or, leurs arguments manquent de consistance et acceptent plusieurs hypothèses. Ils ne font donc pas autorité pour pouvoir les imputer à Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya et ibn ‘Abd el Wahhâb.

 

Une étude objective réclame de regrouper tous les arguments et les opinions en rapport avec le sujet, non, uniquement ceux qui penchent vers sa tendance. En outre, au lieu de jeter la vindicte sur les chercheurs qui s’opposent à leur tendance, il serait plus constructif de reprendre les arguments d’ibn Taïmiya notamment et de résoudre le problème qu’ils leur posent sans les orienter de leur côté.

 

Sinon, que faudrait-il dire sur les savants qui avaient fait des erreurs dans certains domaines du shirk (tawassulel istighâthae-shafâ’a, etc.), comme e-Subkî, e-Suyûtî, et ibn Hajar el Haïthamî ? Nous pouvons dire la même chose pour certaines sectes islamiques. Il faut donc mettre les passions de côtés, et s’attaquer au sujet d’un point de vue purement scientifique.[2]

 

L’Imam Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb l’avait bien compris. Lui, qui donne des circonstances atténuantes à ibn Hajar el Haïthamî qui autorisait à demander au Prophète (r) d’intercéder en sa faveur après sa mort. L’Imam expliquait qu’il n’avait pas l’intention d’aller à l’encontre de la vérité, car il était connu par sa piété et son scrupule. Ses services rendus à la nation dans le domaine du savoir étaient innombrables. En outre, les auteurs de son genre n’avaient pas reçu contre eux la preuve céleste dans ce domaine en particulier, surtout qu’ils vivaient à des époques où l’influence du sultan et des mauvais savants jouait un rôle non négligeable. Ce qui faussait les pistes ![3]

 

Bref, ibn ‘Abd el Wahhâb considérait que cette croyance relevait du shirk akbar mukhrij min el milla (qui fait sortir de la religion). Pourtant, il n’a pas kaffar le fautif en question. On peut toujours avancer que cette forme de shirk relève des questions subtiles, non des questions évidentes comme le souligne Sheïkh Salih Âl e-Sheïkh, mais toujours est-il qu’elle entre dans le domaine du shirk akbar. On peut avancer également qu’aux yeux de certains savants, cette pratique est certes une innovation, mais qu’elle n’atteint pas le degré de grande association.[4] Cependant, aux yeux de ‘Abd e-Rahmân ibn Hasan et son fils ‘Abd e-Latîf, dans leur réfutation respective à Dâwûd ibn Jarsîs, elle entre dans le shirk akbar.[5] ‘Abd e-Latîf va jusqu’à utiliser les paroles de ce fameux ibn Hajar e-Shâfi’î dans son ouvrage el i’lâm bi qawâti’ el islam, pour dire qu’à l’unanimité des musulmans, après bien sûr l’iqâmat el hujja, ceux qui adorent les « saints » et qui invoquent un autre qu’Allah deviennent mécréants.[6] Même constat pour son élève Sulaïman ibn Sahmân.[7]

 

Ainsi, il est plus précis de parler de questions évidentes/subtiles dans lesquelles entre la grande association en premier lieu, que de confiner la chose dans la grande association. Bien que là aussi, les choses sont relatives. Cela dépend des endroits, des époques, et des personnes. C’est en tout cas, le constat que fait l’auteur de l’excellente recherche, que l’adversaire se targue de mettre en avant ‘âridh el jahl, et qui n’est autre que Râshid e-Râshid. Celle-ci, rappelons-le, fut préfacée par Sheïkh el Fâwzân, connu pour ses positions fermes sur le sujet. Il explique en effet : « … Quant à celui qui commet du shirk, dans la mesure où il n’a pas accès à la science, comme ceux qui vivent dans les pays non-musulmans et dans les sociétés où il n’y a pas de prédicateurs qui appellent au tawhîd, de sorte qu’il ne peut remédier à son ignorance, dans ce cas, il est excusable, selon l’opinion la plus vraisemblable des savants. »[8]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] Voir : el intisâr li hizb el muwahhidîn (p. 29) ; il est compilé dans majmû’a ‘aqîda el muwahhidîn.

 

[2] Voir : nawâqidh el i’tiqâdiya du D. Mohammed el Wuhaïbî (p. 289-293).

 

[3] E-durar e-saniya (1/235).

 

[4] Voir : el ilmâm bi sharh nawâqidh el islâm d’Abd el ‘Azîz e-Raïs (p. 121-125).

 

[5] Voir : kashf mâ alqâhu Iblis (p. 131-213) de ‘Abd e-Rahmân ibn Hasan et Misbâh e-Zhalâm (p. 258).

 

[6] E-durar e-saniya (1/467).

 

[7] Dhiyâ e-Shâriq (p. 35).

 

[8] ‘âridh el jahl (p. 224).

ÉCLAIRCISSEMENT  (1/3)

ÉCLAIRCISSEMENT  (2/3)

Un jour, Sheïkh Sulaïmân e-Ruhaïlî m’expliquait qu’on n’avait pas prêté au sujet l’attention qu’il méritait. Il soulignait également qu’on en faisait une mauvaise approche, et qu’il y avait un problème de méthodologie. L’analyse objective, à ses yeux, veut de prendre pour base de réflexion, les textes scripturaires de l’Islam et l’opinion des savants des premières générations en commençant par les Compagnons et leurs successeurs, avant de se tourner vers les avis des savants des générations plus récentes qu’il incombe de replacer dans leur contexte, et de les expliquer conformément aux intentions de leurs auteurs, en mettant les passions de côté. Pour Sheïkh el ‘Uthaïmîn, tout le monde s’accorde sur le principe du ‘udhr bi el jahl, mais s’il y a divergence entre les savants, c’est dans la façon dont cela se traduit dans la pratique.

 

En faisant en effet un résumé des paroles des savants des différentes tendances sur le sujet, on se rend compte paradoxalement que leur discours se rejoint.

 

• Les cas où l’ignorance n’est pas une excuse dans les questions évidentes, non dans les questions subtiles qui réclament de faireiqâma el hujja.

 

  1.  Celui qui vit en terres musulmanes ou dans un pays limitrophe.
  2.  Celui qui vit à une époque où le savoir est répandu et accessible à tous.
  3.  Celui qui a la possibilité de poser des questions aux savants sur les choses qu’il ignore.

 

 • Les cas où l’ignorance est un facteur excusable dans les questions évidentes et à fortiori dans les questions subtiles

 

  1.  Celui qui vit dans les périodes de fatra (sans prophétie) ou dans celle où la lumière de la prophétie s’est estompée.
  2.  Celui qui vit en terre ennemi, étant donné qu’en principe, le savoir n’y est pas répandu.
  3.  Le bédouin qui vit loin des villes.
  4.  Le nouveau converti.
  5.  Et, par analogie, tous ceux qui répondent au même signalement.

 

Pour faire cette classification, je me suis paradoxalement aidé du livre ‘âridh el jahlde Râshid e-Râshid.[1] Ainsi, comme nous l’avons vu, l’état d’ignorance n’est pas une excuse en soi, mais il faut tenir compte d’un facteur qui est extérieur à l’individu et qui est indépendant de sa volonté, soit l’impossibilité d’avoir accès au savoir, pour une raison ou pour une autre. Wa Allah a’lam !

 

Ainsi, tout devient plus clair, et les contradictions que semblent avoir au premier abord les paroles des savants, voire les paroles d’un même auteur se dissipent tout d’un coup. En conjuguant entre elles, nous arrivons au juste milieu entre deux tendances extrêmes : celle qui voit le ‘udhr à outrance et celle qui le refuse à outrance, en sachant que les mérites reviennent à Allah Seul !

 

D’autres passages de certains érudits peuvent également porter à confusion. Certains d’entre eux affirment qu’il incombe de faire comprendre la hujja avant de se prononcer sur un cas particulier et d’autres affirment que la seule présence du Coran suffit, en guise de hujja, et qu’il n’est pas besoin de l’établir. Nous nous hasardons ici à conjuguer entre ces deux discours. Soit, qu’il existe deux sortes de hujja :

  •  Hujja el maqâl (la preuve par l’explication et les arguments) : qui consiste à exposer verbalement les preuves divines à un cas particulier. C’est les cas où l’ignorance est un facteur excusable dans les questions évidentes et à fortiori dans les questions subtiles.
  •  Hujja el maqâm (la preuve par la situation et le contexte) : c’est-à-dire que la preuve est tellement répandue et connue de tous, qu’il n’est pas besoin de l’exposer verbalement. C’est les cas où l’ignorance n’est pas une excuse dans les questions évidentes, non dans les questions subtiles qui réclament de faire iqâma el hujja el maqâlWa Allah a’lam !

 

 Ainsi, si tous ces points sont clairs, il reste désormais à poser le doigt sur une question où règne une divergence entre les savants des dernières générations, et que certaines personnes malintentionnées reprennent à leur compte, de façon à pouvoir sortir les musulmans de l’Islam à grande échelle, et à leur tête les gouverneurs, sans se faire passer pour des kharijites. L’astuce était bien trouvée, mais qu’en est-il en regard de l’analyse ?

 

Selon cette opinion, avant l’iqâma el el hujja, tout fautif étant excusable qui commet du shirk akbar n’est pas un mécréant, mais sans n’être non plus un musulman. Elle distingue ainsi entre le nom (ism) et le statut de cet individu (hukm). En d’autres termes, il ne mérite pas le châtiment de l’Enfer sans n’avoir reçu lahujja, mais il perd ses droits de musulman. Il sera éprouvé le Jour de la résurrection avant de trouver sa place, soit au Paradis soit en Enfer, un peu comme les gens qui n’ont pas reçu le message prophétique (ahl el fatra). Sheïkh ibn Bâz penche vers cette dernière opinion.

 

Une réponse en détail à cet argument a été faite dans un poisson nommé virtuel, mais force est de constater que l’adversaire n’en est pas satisfait.

 

C’est pourquoi, nous ajoutons ici : est-il aventureux de dire que les savants des générations plus anciennes qui nous ramènent le discours des quatre écoles de référence ne font pas cette distinction ?

 

Si nous remontons à l’Imam e-Nawâwî, nous nous rendrons compte de ce constat. Après avoir dressé une liste de questions connues par tous les musulmans de façon élémentaire, ce dernier nous apprend : « … Or, si le nouveau converti, qui ne connait pas l’Islam dans ses détails, renie l’un de ces éléments par ignorance, il ne devient pas mécréant (hukm ndt.), et garde le nom de musulman (ism ndt.comme ceux que nous avons cités… »[2]

 

Plusieurs savants à travers diverses époques (Bahâ e-Dîn el Maqdisî, e-Suyûtî, ‘Alî el Qârî, ibn Qudâma el Maqdisî) donnent l’exemple du nouveau converti et du bédouin qui vit loin des villes pour dire qu’il ne devient pas kâfir, avant iqâma el hujja, pour faire la distinction entre lui et l’apostat (murtadd). Il n’y est pas question de distinction entre l’ism et le hukm. Pour mieux comprendre, il faut revenir à la définition du murtadd que nous proposent plusieurs savants. Tous s’accordent à dire qu’au niveau de la langue, apostasier, c’est revenir sur quelque chose dans l’absolu. Dans la religion, il consiste à renoncer verbalement à la religion ou dans les actes.[3]

 

Or, si l’on s’en tient à cette distinction entre le ism et le hukm, il n’y aurait pas de différence entre celui qui bénéficie du ‘udhr bi el jahl et du murtadd, sauf que le premier sera peut-être éprouvé le Jour de la résurrection ; tandis que le deuxième est voué à l’Enfer éternel. Sur terre, tous les deux perdent leur droit de musulmans. Il existe une autre différence, c’est que le juge a le droit de condamner l’apostat sans lui donner de délai de repentir. En revanche, il incombe d’établir la preuve céleste contre le nouveau converti qui commet un acte de kufr.

 

C’est un peu ce que veut nous dire une fatwa de la lajna dâima, qui apparemment ne voit pas le ‘udhr bi el jahl dans leshirk akbar. Celle-ci nous apprend que la hujja est établie contre le fautif avant de lui infliger le châtiment sur terre, non qu’il ne prend pas le nom de kâfir.[4] Ainsi, sans dire que cette théorie tombe à l’eau, elle ne fait pas en tout cas l’unanimité des savants, et surtout, il est intolérable de l’imputer à ibn Taïmiya tant son discours ne prête pas le dire. Au pire des cas, nous pouvons avancer qu’il existe une divergence. L’une des deux hypothèses n’a pas plus de poids que l’autre, sauf si un élément de taille la fasse pencher vers l’un des deux côtés, ce qui n’est pas le cas pour ibn Taïmiya. Le contraire serait même plus évident, comme nous l’avons démontré, wa Allah a’lam !

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

[1] ‘âridh el jahl (p. 213).

 

[2] Sharh e-Nawawî (1/205). Il dit mot à mot : baqâ ism e-dîn ‘alaïhi.

 

[3] ‘âridh el jahl (p. 345).

 

[4] Voir : majallat el buhûth el islâmiya (30/74), et fatâwâ e-lajna e-dâima (1/220).

ÉCLAIRCISSEMENT  (3/3)

Il reste un dernier point à régler, et qui touche aux arguments en détail des deux parties. Nous avons expliqué plus haut, qu’en fait, ils se rejoignent pour la plupart, et que chacun parle d’un point particulier de la question. C'est pourquoi il faut replacer chaque argument dans son contexte pour éviter de sombrer dans un dialogue de sourds. Nous avons répondu par le passé à une dizaine d’arguments de l’adversaire. Récemment, l’un d’entre eux a voulu nous faire entrer dans un raisonnement qui tient sur un château de cartes, dans le sens où si on enlève une seule carte, c’est tous le château qui s’écroule. L’une de ses cartes devait nous faire dire que le kufr, selon ibn el Qaïyim, se résumait au juhûd (renier) d’un enseignement de l’Islam. C’est ce qui lui permettait de dire que ahl el fatra n’étaient pas des mécréants, selon cette définition, mais sans n’être non plus des musulmans, d’où la règle sur laquelle tient son château de cartes, du ism et du hukm.

 

Or, je lui ai ensuite expliqué que de confiner le kufr dans le juhûd était propre aumurjite. Mais là, c’était enlever une carte, alors il est entré dans un discours de safsataque les grecs appelaient sophisme, et qui est un raisonnement faux, ayant l’apparence d’un raisonnement logique et qui est fait dans le but de tromper.

 

Pourtant, je lui avais donné un texte où ibn el Qaïyim avait dévoilé ses intentions, et qui parlait d’ahl el fatra, non des musulmans. Texte que je remets ici : « L’Islam, c’est l’unicité d’Allah et Son adoration unique sans lui vouer d’associé ; il consiste également à croire en Allah et à Son Messager (r) et à suivre ses enseignements. Quiconque ne fournit pas cela n’est pas un musulman. Si, certes, il n’est pas un mécréant renieur (kâfir jâhîd), c’est un mécréant ignorant (kâfir jâhil). »[1] Qu’entend ibn el Qaïyim par kâfir jâhil ? La réponse se trouve deux pages plus loin où l’auteur nous y dévoile ses intentions en ces termes : « Allah (U) ne châtie personne avant l’iqâma el hujja, comme le formule les Versets : [Nous n’allions châtier personne avant d’envoyer un messager],[2] [Des messagers avertisseurs et annonciateurs afin que les hommes ne puissent opposer à Allah aucun argument après leur venue].[3] Nombreux sont les exemples de ce genre dans le Coran qui nous informe que seul celui qui a reçu le message d’un prophète mérite le châtiment dans la mesure où la preuve divine est appliquée contre lui, et qui correspond au pécheur qui reconnait sa faute. »[4]

La page suivante, il explique encore plus en détail : « Deux individus méritent le châtiment : le premier consiste à se détourner de la preuve d’Allah par négligence et à ne pas la vouloir ni la mettre en pratique ni mettre en pratique ce qu’elle implique. Le deuxième consiste à s’en détourner par orgueil après l’avoir reçue et à délaisser ses implications.

Le premier c’est du kufr i’râdh,

Et le deuxième, c’est du kufr ‘inâd.

Quant au kufr el jahl sans que la preuve d’Allah ne soit venue et sans n’avoir la possibilité d’y avoir accès, c’est ce genre de kufr au sujet duquel Allah n’applique pas le châtiment, pas avant que la preuve prophétique ne soit établie. »[5]

 

Il n’est donc pas question du kufr juhûd, mais du kufr jahl. Dans ce même raisonnement, l’adversaire se sert de certaines paroles de ce même ibn el Qaïyim pour dire que le muqallid (suiveur) ignorant n’est pas excusé par son ignorance. Mais, en réalité, ce même ibn el Qaïyim relativise son discours. Il précise ailleurs en effet, en parlant des adeptes des sectes (khawârijmu’tazila,murjiya, etc.) qu’ils sont plusieurs catégories d’individus. L’un d’entre eux est un muqallid ignorant qui n’a aucune clairvoyance ; dans son cas, il ne devient ni kâfir, ni fâsiq (pervers), et on ne doit pas refuser son témoignage, étant donné qu’il n’est pas en mesure d’étudier la vérité.[6] Il n’est donc pas question d’une manzila baïna el manzilataïn !

 

Il distingue donc entre le muqallid ignorant de l’époque de la fatra qui est un kâfir jâhil et le muqallid ignorant parmi les musulmans. Et quand bien même son discours engloberait également les muqallid musulmans, il fait allusion à une catégorie bien déterminée, qui est soit de se détourner de la vérité par négligence comme nous l’avons vu avec le kufr i’râdh et tafrît soit de s’en détourner par orgueil, comme nous l’avons vu avec le kufr ‘inâd. L’élève d’ibn Taïmiya nous met en garde de confondre entre les deux formes de muqallid ; entre celui qui a la possibilité d’apprendre et celui qui n’en a pas la possibilité, ce qui rejoint notre raisonnement.

 

Il explique que ces deux catégories d’individus existent bel et bien et que le premier n’est en aucun cas excusable.[7] Il explique ailleurs que la deuxième catégorie d’individu a un autre statut.[8] Si c’est un muqallid jâhil, il est effectivement un mécréant qui est excusable dans le sens où le Jour de la résurrection il sera éprouvé pour rejoindre ensuite soit le Paradis soit l’Enfer. Et si c’est un muqallid musulman, il est excusable dans le sens où il ne perd pas son affiliation à la religion (ism) et son statut d’adepte de l’Islam (hukm), wa Allah a’lam !

 

Je vais donner un dernier exemple qui écroule le château de carte, en sachant qu’ensuite chacun l’interprète et se console à sa façon, hadhâ mablaghuhum mi el ‘ilm !

 

L’adversaire utilise une parole de l’Imam ibn Battin dans laquelle il affirme sans ambages que celui qui se trompe en général (mukhtî), ou qui commet une erreur d’interprétation (mu-awwil) et l’ignorant ne sont pas excusables conformément au Coran, à la sunna, et à l’unanimité des savants.[9]

 

Avant de répondre à cet argument, il convient de préciser qu’il faut distinguer entre les questions évidentes, qui ne sont pas propres rappelons-le au shirk akbar, et les questions subtiles de la religion. Il est vrai que pour les premières, l’erreur d’interprétation et l’ignorance ne sont pas une excuse. Non en elles-mêmes, mais parce qu’il est inconcevable de se tromper dans un domaine où les choses sont aussi claires, contrairement aux questions subtiles dans lesquelles même des grands savants commettent des erreurs.[10] Concernant, les erreurs d’interprétation pour les questions subtiles de la religion, l’Imam Shâfi’î ramène un consensus à son époque disant qu’elles sont excusables.[11] Même discours chez ibn Hazam,[12] ibn Taïmiya,[13] et ibn Hajar el ‘Asqalânî.[14] Certains savants comme Sheïkh el ‘Uthaïmîn, entrent plus dans les détails. Ils font une autre distinction pour le ta-wîl excusable entre le ta-wîl musawwa’, dans le sens où il a une origine dans la langue arabe, même si la conclusion est fausse et le ta-wîl ghaïr musawwa’ qui n’a aucune origine dans la langue arabe.[15]

 

Bref, ibn Battin fait allusion aux questions évidentes dont fait partie le shirk akbar. Mais, me direz-vous, qu’est-ce qui nous fait dire cela ? Nous disons, le contexte et surtout la suite du passage que l’adversaire utilise et dans lequel l’auteur voit le ‘udhr bi el jahl dans les questions subtiles de la religion. Ensuite, il nous fait comprendre que ce discours est relatif, car en reprenant le passage d’ibn Taïmiya qui ne donne pas de circonstance atténuante à certaines catégories d’individus, il nous en dévoile la raison. Autrement dit, car les erreurs en questions touchent aux questions évidentes de la religion. De plus, le discours d’ibn Taïmiya relativise, car il parle en fait de Râzî, en voulant dire que les gens de son acabit n’ont pas le droit à l’erreur sur des choses aussi claires. Ce qui n’est pas le cas des muqallid ignorant. On voit bien que ce discours est relatif comme nous le disons depuis le début.

 

Par ailleurs, en s’arrêtant sur le consensus revendiqué par ibn Battin, nous verrons que d’autres savants comme l’Imam el Qarrâfî el Mâliki,[16] et Mohammed Rashîd Ridhâ[17] font le même constat. En sachant que le dernier cité fait exception au nouveau converti et au bédouin qui habite loin des villes, ce qui rejoint notre discours.

 

Or, pour être plus précis, il faudrait dire que cette opinion est celle de la majorité des savants, comme le rapporte l’Imam hanafite Sadr e-Dîn el Qûnawî et ‘Alî el Qârî.[18]

 

En outre, dans un autre passage, l’Imâm ibn Battin nous fait part du fond de sa pensée, en expliquant qu’en donnant des excuses à un ignorant dans les questions claires, cela implique de confiner le kufr dans le juhûd,[19] – comme nous demande de le faire l’adversaire que je n’accuse pas d’être un murjite – ce qui n’est pas tout à fait vrai, comme nous l’avons vu dans l’introduction. Lui-même nuance la chose dans certains passages de son œuvre où, certes, il démentait les paroles d’Ibrahim ibn ‘Ajlân qu’il attribuait à ibn Taïmiya et ibn el Qaïyim sur le ‘udhr bi el jahl, car à ses yeux, ce serait confiné le kurf dans le… ‘inâd.[20] Néanmoins, il a également d’autres paroles qui n’ont pas moins d’autorité que celles-ci. Qu’on en juge : « Ses paroles – qu’Allah lui fasse miséricorde –[21]disant qu’il n’est pas possible de les taxer d’apostats (kaffar), pas avant de leur avoir exposé les enseignements du Messager (r), ou en d’autres termes, qu’il n’est pas possible de les kaffar en personne, ou en particulier, en affirmant par exemple qu’un tel est un kâfir ou toute autre formule du genre. Cependant, nous disons que tel acte relève de la mécréance et que l’auteur de cet acte est mécréant. Il a donc jugé dans l’absolu que l’auteur d’un tel acte est un kâfirun nombre de fois incalculable dans ses ouvrages. Il a même relevé le consensus disant que l’auteur de ces pratiques païennes est un apostat… »[22]

 

Trois hypothèses sont possibles pour résoudre ce mystère : soit, l’Imam réfute ceux qui refusent dans l’absolu de kaffar l’ignorant dans le domaine du tawhîd, même celui qui vit en terre musulmane et qui a les possibilités de le connaitre, alors qu’ibn Taïmiya et son élève, précise que l’excuse est accordée au nouveau converti, ou au bédouin qui vit loin des villes, certes, mais pas à tout le monde. J’espère que l’adverse conçoit la nuance ; soit, un peu comme l’adversaire, toute proportion gardée, ibn Battîn pénétrait mal la tendance des deux Imams sur ce point précis ; soit, il est tout simplement revenu sur sa première tendance. Quoi qu’il en soit, la tendance des deux Imams est claire sur ce point, comme nous l’avons expliqué précédemment.[23]

 

Ainsi, en regroupant les paroles des uns et des autres, on arrive mieux à pénétrer leurs intentions de leurs auteurs, ou tout au moins, à conjuguer entre elles. Il reste à préciser que dans certains passages, les savants donnent, dans l’absolu, le statut d’un acte en particulier, sans préciser que son auteur est excusable. Cela ne remet nullement en question ses autres discours sur le ‘udhr bi el jahl. Car, comme nous le disons depuis toujours, il faut distinguer entre le hukm el mutlaq (son statut dans l’absolu) et le hukm el mu’aïyin (un cas particulier). Il serait trop long de reprendre un à un les arguments de l’adversaire, je me suis contenté d’en citer deux, ici. Il suffit de garder en mémoire la classification citée plus haut, pour que les choses deviennent plus claires, wa Allah a’lam !

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

[1] Tarîq el hijrataïn (p. 411). Mithat ibn el Hasan Âl el farrâj est l’auteur de la recension du livre kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd de Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb. Mu par un certain zèle, ce qui peut être compréhensible, il reproduit les paroles d’ibn el Qaïyim que nous venons de citer, mais il ne fait pas l’effort de tourner les deux pages suivantes, où il aurait découvert pourtant les vraies intentions de l’auteur.

 

[2] Le voyage nocturne ; 15 voir les tafsîr d’e-Tabarî et d’ibn Kathîr.

 

[3] Les femmes ; 165 voir les tafsîr d’el Baghawî et de Shanqîtî.

 

[4] Tarîq el hijrataïn (p. 413).

 

[5] Tarîq el hijrataïn (p. 414).

 

[6] El Qâsimî a rapporté ses paroles dans son tafsîr (5/1309).

 

[7] Tarîq el hijrataïn (p. 412).

 

[8] E-tafsîr el qaïyim (p. 359-360).

 

[9] El intisâr (p. 46).

 

[10] ‘âridh el jahl (p. 51).

 

[11] El umm (6/205).

 

[12] El fisal (6/205).

 

[13] Majmû’ el fatâwa (5/563), et manhaj e-sunna (5/239).

 

[14] Fath el Bârî (12/304).

 

[15] Majmû’ e-thamîn (2/63).

 

[16] Sharh tanqîh el fusûl (p. 439).

 

[17] Hâshiya e-rasâil e-najdiya (4/517).

 

[18] Voir : ‘âridh el jahl (p. 571-583).

 

[19] E-durar e-saniya (10/400).

 

[20] Voir : risâla fî bayân e-shirk wa ‘adam i’dhâr jâhilihi (p. 30).

 

[21] En parlant des paroles d’ibn Taïmiya dans son radd ‘ala el bakrî (p. 376) auxquelles l’adversaire n’a jamais répondu.

 

[22] Voir : el intisâr li hizb el muwahhidîn (p. 29) ; il est compilé dans majmû’a ‘aqîda el muwahhidîn.

 

[23] nawâqid el îmân el i’tiqâdiya du D. Mohammed ibn ‘Abd Allah ibn ‘Alî el Wuhaïbî (1/282-283).

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