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Au nom d’Allah le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

 

Voir : el usûl e-latî banâ ‘alaïhâ el mubtadi’a madhhabuhum fî e-Sifât (3/213-269) du D. ‘Abd el Qâdir ibn Mohammed ‘Atâ Sûfî, qui, à l’origine, est une thèse universitaire èsDoctorat.

 

Chapitre II : approche détaillée  

 

Sur la division de l’existence

 

Ibn Sînâ s’inspire de l’i’tizâl primitif et des anciens Grecs pour concocter sa propre division de l’existence en lui donnant un air plus islamique. Nous avons vu que les philosophes musulmans parlaient de « nécessaire » et de « possible ». C'est pourquoi ce même ibn Sînâ donne à Dieu le nom d’Être nécessaire. Ses ancêtres baptisaient la divinité absolue d’Intellect on d’Intellect actif (qui est exempt de matière selon la définition de Shihristânî[1]), de Substance pour certains avec les particularités qu’ils lui donnent,[2] de Principe ou de Cause première.[3]

 

Ainsi, Aristote et ses coreligionnaires n’avaient pas recours à cette division pour distinguer Dieu de la création. L’élève de Platon prouve l’existence de la Cause première en se basant sur le mouvement des astres. Si l’Univers bouge, selon lui, c’est uniquement dans la mesure où il cherche à ressembler ou à prendre exemple sur la Cause première.[4] Il est même possible qu’il imagine une relation d’attirance entre eux, comme l’amant est attiré par sa bien-aimée.[5] Pour lui, Dieu n’a rien créé et n’est l’auteur d’aucune action. Ibn Sînâ et les philosophes musulmans instaurent leur propre vocabulaire qui prend ses distances avec leurs précurseurs.[6]

 

Là où on peut parler de ressemblance, c’est dans la dualité de l’existence. Là, oui en effet, ibn Sînâ est fidèle aux anciens qui distinguaient entre l’Intellect et l’intelligible, la Cause et l’effet, etc. C’est là aussi où l’influence mu’tazilite intervient, avec son « ancien » et « contingent ». Ibn Sînâ et consorts firent une purée de tout cela et nous concoctèrent une recette inédite : « nécessaire » et « possible ». Nous pouvons dire sans peur que les mu’tazilites ont joué un rôle non négligeable sur la pensée avicennienne.

 

Au demeurant, malgré tous ses défauts, la méthode mu’tazilite reste plus cohérente et plus claire que celle des mutafalsifa, car plus fidèle aux principes de l’Islam.[7]Néanmoins, Avicenne n’était pas dupe. Il s’était rendu compte de la vulnérabilité de la méthode de ses inspirateurs, et chercha à la faire disparaitre en mettant le doigt là où cela faisait mal. Il mit sur pied une potion qui était encore plus vulnérable et destructive que la maladie qu’il attaquait. Ibn Taïmiya se chargea d’anéantir ces deux méthodes, en tenant compte des points forts et des points faibles de chacun, sans omettre de préciser laquelle était la plus éloignée de la Religion, mais aussi de la raison.[8]

 

Les contradictions d’ibn Sînâ

 

La définition du « possible » chez les gens sensés, est tout ce qui sort du néant pour entrer dans l’existence et inversement. Il vacille donc entre le néant et l’existence, mais une chose est sûre, c’est que son existence n’est pas prééternelle. Si cela est clair, l’éternel et le possible sont forcément antonymes. Nous pouvons facilement en conclure que tout ce qui existe en dehors d’Allah relève du « possible ».[9]

 

Le problème, c’est que le Raîs se perd dans ce principe élémentaire et se mélange grossièrement les pinceaux ! Il part du prédicat de la dualité de l’existence, mais jusqu’ici tout va bien. C’est la suite qui nous fait malheureusement déchanter, car, quand on s’aperçoit de ce qu’il entend par « possible », on se rend compte que les choses sont beaucoup moins roses qu’elles en ont l’air.

 

Je m’explique. Il émet l’hypothèse saugrenue de la prééternité d’une existence « possible ». Pire, il imagine que ce même possible prééternel puisse être post-éternel et impérissable. Ou, pour faire plus simple, il imagine un « possible » qui n’a jamais appartenu et qui n’appartiendra jamais au néant.[10] Il donne l’exemple justement de… l’Univers qui serait nécessaire non pas en lui-même, mais par l’intermédiaire d’un agent extérieur. Il s’oppose ainsi à deux principes qui ont reçu, pourtant, l’unanimité des gens sensés de toute confession, et qui sont :

1-      La dualité de l’existence.

2-      L’incompatibilité entre le « nécessaire » et le « possible », ou, en d’autres termes, il n’est pas possible que le « possible » soit pré et post-éternel.

 

Avicenne s’imagine un possible qui est à la fois potentiel (qui peut exister ou non) et éternel (qui a toujours existé et qui existera toujours). Il serait impérissable et nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur. En matière de contradiction, on ne peut pas faire mieux.[11] Qu’est-ce qui a bien pu pousser ce grand penseur à en arriver là ? C’est simple, il a besoin de mettre en place le principe de l’existence d’un « possible » qui soit nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur. Il sait pertinemment qu’il lui faut une parade pour échapper à ses détracteurs, alors il mijote un « possible » ayant toujours existé.

 

Il introduit ce « possible » dans sa théorie visant à prouver l’existence de l’Être nécessaire. Il établit que tout ce qui existe en dehors de lui est « possible » en lui-même, mais également « nécessaire » par l’intermédiaire d’un agent extérieur.[12] Il vise l’éternité de l’Univers ou plus vulgairement, l’éternité du monde.[13] Eurêka ! L’Univers est à la fois « possible » en lui-même, mais non contingent. Il est « possible » dans le sens où son existence ne vient pas de lui, bien qu’elle soit éternelle.[14] Ce « possible » en lui-même ne peut disparaitre, car il puise son existence de celle de son créateur qui lui est éternel.[15]

 

Cette théorie avicennienne de l’éternité de l’Univers s’oppose :

1-               Aux gens sensés de toute confession qui cautionnent la dualité de l’existence, et la périssabilité ou l’altérabilité du « possible ».

2-               À leurs ancêtres, les philosophes grecs qui n’ont jamais dit une chose pareille.

3-               À leur propre théorie du « possible », qui par définition est périssable.[16]

 

Les philosophes musulmans se contredisent eux-mêmes

 

Ce constat est tangible dans les points suivants :

 

Premièrement : comment peut-on dire qu’une chose impérissable ou immuable soit « possible » ? On peut toujours nous répondre qu’en regard de son essence, il est possible d’imaginer ces deux cas de figure en même temps. Ce à qui nous répondons :si vous faites allusion à l’existence réelle, nous disons qu’elle ne peut à la fois être une chose et son contraire. L’existence nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur ne peut être exposée au néant. Ils peuvent toujours vouloir dire qu’il peut très bien être exposé au néant après avoir connu l’existence. Ce à quoi nous répondons : alors, il n’a pas toujours été nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur. Tout ce qui accepte le néant dans un avenir proche ou lointain, ou bien tout ce qui sort du néant ne peut être en même temps éternel, immuable, ancien et nécessaire tout le temps par l’intermédiaire d’un agent extérieur. C’est exactement ce qu’ils affirment à propos de l’Univers.

 

Ils peuvent également avancer l’excuse qu’en fait, il accepte simultanément l’existence et le néant. Ce à quoi nous répondons : c’est impossible ! Ils peuvent se rattraper en prétendant qu’en fait, il accepte certes l’existence et le néant, mais alternativement. Ce à quoi nous répondons : par définition une existence immuable refuse toute alternation entre l’existence et le néant.

 

Ils peuvent également défendre pour se tirer d’affaire qu’ils font allusion à une essence fictive, qui, elle, serait soumise à l’existence et au néant. Ce à quoi nous répondons : donc, il ne s’agit pas de l’essence que vous défendiez précédemment en disant : « …qu’en regard de son essence, il est possible d’imaginer ces deux cas de figure en même temps. »

 

Ils peuvent prétexter à cette étape de la discussion qu’il est possible de se représenter mentalement une chose qui serait à la fois dans la réalité existante et inexistante. Ce à quoi nous répondons : là aussi nous disons que le « possible » est inhérent au néant. Quant à l’existence imaginaire, elle accepte certes les deux alternatives, mais l’existence éternelle et nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur est littéralement allergique à tout ce qui est « possible », avant que nous puissions parler de cette hypothèse !

 

S’ils osent dire que son essence accepte l’existence et le néant, alors nous leur répondons qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent.[17]

 

Ainsi, l’existence nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur n’accepte dans aucune autre hypothèse, le néant… Conclusion : dire que le « possible », qui accepte l’existence et le néant, est nécessaire par l’intermédiaire d’un agent extérieur est complètement insensé.

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

 


 

[1] El milal wa e-nihal (p. 379).

 

[2] Mi’yâr el ‘ilm fî fann el mantiq d’el Ghazâlî (p. 280-281).

 

[3] Idem. (p. 312-313) ; pour plus de détails sur le concept de Cause voir : E-ta’rifât d’el Jurjânî (p. 155-156).

 

[4] Minhâj e-sunna d’ibn Taïmiya (2/132).

 

[5] Idem.

 

[6] Majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (1/49).

 

[7] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql d’ibn Taïmiya (3/267-268).

 

[8] Idem.

 

[9] Idem. (3/268).

 

[10] El ishârât wa e-tanbihât d’ibn Sînâ (3/351, 353, 355). 

 

[11] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql d’ibn Taïmiya (3/268).

 

[12] Idem.

 

[13] Majmû’ el fatâwâ (1/49).

 

[14] Idem.

 

[15] El ishârât wa e-tanbihât d’ibn Sînâ (3/351, 353-355).

 

[16] Majmû’ el fatâwâ (1/49).

 

[17] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (3/337).

Chapitre II: 

IBN TAÏMIYA ET LE TARKÎB (1/5)

Chapitre II: 

IBN TAÏMIYA ET LE TARKÎB (2/5)

Au nom d’Allah le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

 

 

Voir : el usûl e-latî banâ ‘alaïhâ el mubtadi’a madhhabuhum fî e-Sifât (3/213-269) du D. ‘Abd el Qâdir ibn Mohammed ‘Atâ Sûfî, qui, à l’origine, est une thèse universitaire èsDoctorat.

 

Deuxièmement : tout ce qui existe dépend du Créateur, et cette dépendance est la preuve de leur contingence et de leur caractère « possible ». Il n’est pas besoin d’aller loin pour faire ce constat. Chaque être humain ressent instinctivement au fond de lui que toute chose est dépendante de son Créateur qui est à l’origine de son existence et qui l’a donc sorti du néant.

 

On peut nous dire que l’univers est certes « fabriqué » par Allah et dépendant de Lui, mais cela ne l’empêche pas d’être éternel avec Lui sans n’être jamais sorti du néant. Mais, nous répondons que c’est concevable si ce n’est que dans la mesure où l’esprit a les moyens de s’imaginer les choses les plus invraisemblables, mais qui sont impossible dans la réalité. Par rapport à cela, si on nous dit que le possible ou le contingent est dépendant d’un agent agissant sur lui, nous répondons qu’il n’y a aucune contradiction entre les deux idées, étant donné que tout possible est contingent et inversement, l’un ne va pas sans l’autre (ils sont concomitants).[1]

 

Troisièmement : il est impossible d’imaginer dans le monde réel une existence possible non contingente. Il existe en effet deux formes d’existence : par elle-même et par l’intermédiaire d’un agent extérieur, qui correspond au « possible ». Vue sous cet angle, cette classification est juste ; c’est la même que cause/effet, incréé/créé.

 

Quant à savoir si ce possible a une « essence » avec laquelle il entretient un rapport d’existence ou de non-existence, nous disons que cette représentation est inconcevable dans le monde extérieur. Le « possible » en lui-même n’existe pas avant de pouvoir parler d’une essence quelconque ou de quoi que ce soi d’autre.

 

Si nous disons que son essence n’existe pas, cela ne veut pas dire qu’il a une essence dans le monde réel avec laquelle il n’a aucune relation d’existence. Mais, nous voulons dire plutôt, que nous pouvons imaginer en nous-mêmes cette essence, mais que sa présence dans le monde extérieur est soumise à l’intervention d’un architecte. Tout ce que nous pouvons nous imaginer ne peut se concrétiser dans le monde réel, sans l’intervention d’un créateur ; non qu’une essence quelconque existante dans le monde réel puisse à la fois, dans ce monde réel, accepter l’existence et le néant, ce qui est complètement absurde !

 

Ainsi, nous avons affaire soit à une existence qui existe par elle-même (le Créateur) soit une existence qui existe par l’intermédiaire d’un agent extérieur (la création). Celle-ci est conçue et « fabriquée », et donc obligatoirement contingente, dans le sens où avant d’exister, elle faisait partie du néant.  La plupart des gens sensés, toute religion confondue, sont d'accord sur ce point. Quand bien même nous l’ignorerions, il est plus juste de parler de Créateur pour Celui qui existe par Lui-même et par qui tout existe et de création pour tout ce qu’Il a conçu. Le terme « possible » en effet, est généralement employé pour désigner le néant qui est susceptible d’exister ou non…

 

En outre, si l’on sait que toute existence en dehors de Celui qui existe par Lui-même est obligatoirement conçue, il devient facile de comprendre que tout ce qui est conçu est obligatoirement contingent.[2] D’où la classification incontestable de l’existence en existant par lui-même et existant par l’intermédiaire d’un autre ; l’existence du second, qui est contingente, créée, et sortie du néant, provient obligatoirement du premier. Il vient donc du néant et retournera au néant, comme nous le montrent bon nombre d’exemples dans la vie courante. Conclusion : tout ce qui vient et qui retourne au néant a un début et n’est ni prééternel ni post-éternel; il ne peut, en tout état de cause, être « nécessaire » ni en lui-même ni par l’intermédiaire d’un autre.[3]

 

Ainsi s’écroule la méthode empruntée par les philosophes musulmans et lesmu’tazilites pour prouver l’existence de Dieu, bien qu’ils n’aient pas le même degré d’égarement ; les premiers étant beaucoup plus éloignés de la vérité…

 

Sur la plus grande particularité de Dieu

 

Nous avons vu précédemment qu’aux yeux des mutafalsifa, l’existence nécessaire est la plus grande particularité dont se distingue l’Être nécessaire, et qu’aux yeux desmu’tazilites, c’est l’ancienneté. C’est sur ce principe qu’ils se basent pour renier tous les Attributs divins sans exception. Nous avons déjà démontré l’impertinence de cette théorie, mais nous ajoutons ici que le Très-Haut ne se distingue pas par une seule particularité, mais par beaucoup plus que cela, comme nous allons le démontrer.

 

Notons tout d’abord qu’il existe deux sortes de Noms et Attributs divins :

1-              Il y a ceux qui sont propres à Allah (le Dieu, le Seigneur de l’univers, etc.), et qu’on ne peut trouver en aucun cas chez les créatures.

2-              Il y a ceux qu’Il partage dans l’absolu avec certaines de Ses créatures (le Vivant, le Savant, et le Puissant). Ces noms ont certes une connotation différente en fonction de savoir à qui on les affilie. Ce qui est valable, obligatoire ou interdit pour le Créateur ne l’est pas forcément pour les créatures et inversement, sinon, cela reviendrait à réunir les contraires.[4]

 

C’est ce qui nous pousse à dire que tous les Attributs par lesquels le Créateur se distingue de la création entrent dans la plus grande particularité d’Allah (l’Omniscient, l’Omnipotent, le Créateur, le Riche absolu, le Vivant, et le Subsistant par excellence, etc.).[5]

 

La question qui se pose d’elle : est-ce que l’Être nécessaire des uns et l’Ancien des autres méritent réellement d’entrer dans les particularités d’Allah ?

 

1- L’Être nécessaire

 

L’Être nécessaire est un terme ambigu que nous pouvons décortiquer comme suit :

 

1-              Il peut désigner Celui qui existe par Lui-même et qui n’est pas soumis au néant. De ce point de vue, il n’y a pas d’inconvénient à dire que l’Essence est nécessaire et que les Attributs sont nécessaires, bien que cela dérange nos « amis » qui voient en cela une pluralité de nécessaires.

2-              Il peut désigner Celui qui existe et qui subsiste par Lui-même. Les Attributs ne sont donc pas concernés par cette désignation ici ; on parle uniquement d’Essence nécessaire.

3-              Il peut désigner le Créateur des « possibles ». De ce point de vue, il englobe l’Essence et Ses Attributs. [6]

 

En résumé, dans le premier et le troisième cas, il n’y a pas de mal à dire que les Attributs sont nécessaires, bien que cela entraine une pluralité de nécessaires. Cependant, dans le second cas, Seule l’Essence est concernée par cette appellation étant donné qu’il s’agit de mettre l’accent sur l’indépendance de l’Être nécessaire par rapport à Ses créatures. En d’autres termes, toutes les créations ont besoin d’un agent pour sortir du néant, mais l’indépendance de l’Être nécessaire est une caractéristique (ou un Attribut) qui n’est pas cet agent.[7] En outre, l’Essence dénuée des Attributs ne crée pas et les Attributs dénués de l’Essence ne créent pas non plus.[8]

 

Par rapport à cela, si quelqu’un nous dit que l’Essence agit sur les Attributs, en faisant allusion à deux essences différentes. Nous répondons que le terme « agit » est ambigu. Il peut vouloir dire en effet que l’Essence crée les Attributs, ce qui est inconcevable (car Allah est ancien avec Ses Attributs), mais il peut vouloir dire que les Attributs sont inhérents à l’Essence, ce qui est tout à fait acceptable (car il ne peut y avoir d’essence sans attributs).[9]

 

Ainsi, le premier et le troisième sont indiscutables, mais le second réclame de demander ce qu’on entend par là.

 

Remarque :

 

Certains posent pour condition à l’Être nécessaire qu’il n’ait aucun rapport (relation ou lien causal) avec autrui, ce qui est complètement faux, étant donné qu’Allah est le Créateur de toute chose ; en cela, il existe un rapport entre Lui et Sa création. En outre, Son Essence est inhérente à Ses Attributs et inversement, et les Attributs sont inhérents entre eux.[10]

 

2- L’Ancien

 

Le terme « ancien » est utilisé dans l’usage de la Langue avec laquelle les prophètes se sont adressés à nous pour établir un rapport de comparaison chronologique entre deux choses ; l’une étant venue plus loin dans le temps que l’autre, indépendamment de savoir si cet ancien fut précédé du néant ou non. Plusieurs Versets du Coran vont dans ce sens.[11] Le Dieu Ancien et Éternel est plus à même de se voir appeler ainsi,[12] à condition d’entendre par là le Premier qui n’a pas de début et qui ne fut jamais précédé par le néant. Le problème, c’est que les innovateurs ne se contentent pas de cette définition. Il lui donne une signification beaucoup plus large. C’est la raison pour laquelle, le terme « ancien » est devenu ambigu, d’où l’obligation de se renseigner sur ce qu’on entend par là.

 

Ils lui donnent trois définitions élargies que voici :

1-              L’Ancien est celui qui subsiste par Lui-même. Vu sous ce sens-là, il fait allusion à l’Essence indépendamment des Attributs.

2-              L’Ancien est le Dieu ancien. Vu sous ce sens-là, il fait également allusion à l’Essence indépendamment des Attributs.

3-              L’Ancien est l’Essence ancienne et créatrice de toute chose.

 

Les deux premiers sens ne conviennent pas à Dieu, car impliquant que les Attributs ne sont pas anciens. En revanche, Allah est Ancien dans le sens où la présence de la création prouve Son Existence ; Il est le Créateur éternel existant par Lui-même. Vu sous ce sens-là, Ses Attributs sont également anciens.[13]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 


 

[1] Minhâj e-sunna (1/378-379).

 

[2] Minhâj e-sunna (1/377-378).

 

[3] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (3/350).

 

[4] Minhâj e-sunna (2/596).

 

[5] Idem. (2/388).

 

[6] Idem. (2/131).

 

[7] Naqdh asâs e-taqdîs d’ibn Taïmiya (1/508).

 

[8] Majmû’ el fatâwâ (1/50).

 

[9] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (3/18).

 

[10] Minhâj e-sunna (1/131-132).

 

[11] Voir : v. 39 s. Yâsîn, v. 95 s. Yûsaf, et v. 75-77 s. Les poètes.

 

[12] El jawâb e-sahîh li man baddala dîn el Masîh d’ibn Taïmiya (3/190, 191).

 

[13] Minhâj e-sunna (1/131-132).

Chapitre II: 

IBN TAÏMIYA ET LE TARKÎB (3/5)

Au nom d’Allah le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

Ibn Taïmiya et le tarkîb - Chapitre 2

(Partie 3) 

 

Voir : el usûl e-latî banâ ‘alaïhâ el mubtadi’a madhhabuhum fî e-Sifât (3/213-269) du D. ‘Abd el Qâdir ibn Mohammed ‘Atâ Sûfî, qui, à l’origine, est une thèse universitaire èsDoctorat.

 

Objection

 

Pour nos innovateurs, dire qu’Allah est doté d’Attributs, c’est reconnaitre une pluralité d’Êtres nécessaires ou d’Anciens.

 

En réponse, nous disons que l’Attribut de la divinité n’est pas une divinité, de la même façon que l’attribut d’un homme n’est pas un homme, etc.[1] Par définition, un attribut n’existe pas par lui-même et n’a aucune « autonomie », mais il existe par la présence de son essence. Pour les Attributs divins, on dit qu’ils sont anciens et nécessaires dans le sens où ils sont inhérents à l’Essence divine. Ainsi, il n’y a pas de mal à dire que Dieu est nécessaire dans le sens où aucun agent extérieur n’agit sur Lui ; et Il est Ancien dans le sens où Il n’a pas de début.[2] Ces deux caractéristiques ne concernent pas uniquement l’Essence, puisque, comme nous l’avons vu, il n’y a pas d’Essence sans Attributs, avant qu’on puisse parler d’ancienneté et de nécessité qui désignent à la fois, rappelons-le, l’Essence et les Attributs.[3]

Le Dieu Ancien et nécessaire est doté d’une Essence qui réclame nécessairement des Attributs parfaits.[4]

 

Soulignons enfin qu’aux yeux de la plupart des gens sensés de toute confession, l’ancienneté et l’existence nécessaire sont indissociables ! Aucune secte notoire ne vient contester ce point…[5]

 

Le principe selon lequel le « composé » est dépendant de ses parties

 

Selon ce principe, tout « composé » est dépendant de ses éléments et de ses parties, en sachant que ses parties sont différentes de lui ; cela veut dire dans le cas de l’Être nécessaire qu’il perdrait sa particularité de « nécessaire », car il serait ainsi dépendant d’une cause extérieure à lui. D’où, le verdict sans appel, Allah n’a pas d’Attributs ![6]

 

Or, cet argument repose sur des termes qui sont tous aussi ambigus les uns que les autres. C’est ce qui nous oblige à nous rabattre sur l’istifsâl.[7] Nous avons vu précédemment que les négateurs ne peuvent renier ouvertement les textes, alors ils ont recours à une technique. Ils utilisent des termes ambigus afin de cacher leurs intentions à ceux qui n’ont aucune expérience de leur vocabulaire. Puis, ils mettent en avant que leur ambition est d’exempter le Seigneur de tout défaut.[8] L’Imam Ahmed l’avait bien compris, lui, l’auteur de la phrase célèbre : « Ils utilisent un vocabulaire ambigu afin d’induire en erreur les ignorants avec leurs arguments fallacieux. »[9]

 

C'est pourquoi nous allons, dans les prochaines lignes, reprendre ses termes un par un afin de les décortiquer. Nous avons déjà discuté du tarkîb et du wâjib el wujûd, il nous reste ici à aborder les vocables suivants : partie (juz-uba’dh), l’altérité (el ghaïr), et la dépendance (iftiqâr).

 

1- juz-uba’dh

 

Le vocable « partie » utilisé pour parler du Créateur est ambigu. Il peut vouloir dire plusieurs choses dans la langue arabe et le vocabulaire des anciens :

 

      A- ce qui est engendré

 

Comme le phénomène de procréation chez les êtres vivants. L’enfant est une partie de son père, et le fruit de sa semence, le sperme.

 

B- L’élément d’un tout

 

Comme les parties des corps créés qui acceptent la division et la séparation (animaux, végétaux, bois, feuilles, nourriture, construction, vêtements, etc.).

 

C- La constitution de divers éléments pour faire un tout

 

Comme dans le Verset : [De la forme qu’Il veut, Il t’a constitué].[10]

 

      D- Il peut avoir d’autres sens qui reviennent aux précédents

 

Il va sans que le terme « partie » ne convienne nullement dans ce sens-là pour décrire Allah… Or, si nous sommes d’accords avec les partisans de la théorie du tarkîbsur ce point, il convient, malgré tout, de souligner qu’aucun musulman ne sait jamais aventurer à dire une chose pareille.[11] Il existe trois sortes de corps qui sont soumis à la décomposition :

1-      Les corps « mous » qui se décomposent facilement.

2-      Les corps « durs » qui se décomposent difficilement.

3-      Les corps qui, d’ordinaire, ne se décomposent pas, bien que ce soit possible ; ex. : une montagne pulvérisée en petits morceaux, et la dégradation des cieux à la fin des temps.[12]

 

Les Attributs sont-ils une partie de l’Essence divine ?

 

« Partie » peut avoir deux sens dans le vocabulaire des innovateurs :

A-              Aucune « partie » de l’Essence ne se distingue d’une autre, dans le sens où nous ne nous faisons aucune distinction entre les Attributs que nous connaissons et ceux qui nous sont inconnus.

B-               Allah n’a aucun Attribut essentiel (la Vie, le Savoir, etc.). Cette signification est inacceptable à l’unanimité des gens sensés, car il n’y a rien de mieux pour décrire le néant.

 

Dans aucune Langue au monde, on n’emploie le terme « partie » pour parler de cette façon des attributs d’une entité quelconque. Cet usage du terme est purement conventionnel, et propre aux innovateurs. juz-u n’est pas utilisé non plus pour désigner les « parties » connues d’une entité, car ce n’est pas de cette façon qu’on distingue n’importe quelle entité existante. Chaque chose dans l’existence se distingue par une réalité qui lui est propre (l’ancien se distingue du contingent, etc.). Il n’est naturellement pas possible de tout savoir sur elle pour qu’on puisse dire que ses « parties » connus sont différentes de ses « parties » inconnues.

 

En outre, il est tout à fait possible de connaitre Dieu progressivement, en sachant, par exemple, dans un premier temps qu’Il est savant ; et, par la suite, en découvrant qu’Il est également Voyant et Entendant. La vision d’Allah est de cet ordre…

 

En refusant d’utiliser le terme « partie » pour parler des Attributs divins, cela revient à renier l’existence même de la divinité en la comparant au néant.[13]

 

2- el ghaïr

 

Le vocable « altérité » utilisé pour parler du Créateur est tout aussi ambigu. C’est pourquoi, il incombe de demander ce qu’on entend par là. Après une enquête minutieuse du terme, nous nous rendons compte que deux significations notoires s’en dégagent.

 

      A- L’opinion des sifâtiya

 

Pour ceux qui adhèrent en tout ou en partie aux Attributs divins, l’altérité est un rapport de comparaison qui permet de distinguer entre deux choses, dans le sens où il est permis de les séparer ou de les différencier grâce à l’un des critères suivants : le temps, l’espace, l’existence ; ou dans le sens où il est permis à l’un d’exister sans l’autre.[14]

 

Par rapport à cela, la séparation ou la différenciation d’un tout ou d’un attribut de son essence est éventuelle, non obligatoire.[15] On peut entendre dire les tenants de cette tendance que les attributs ne sont pas le sujet, mais qu’ils ne sont pas non plus différents du sujet.[16]

 

Cette tendance se divise donc en deux groupes :

 

Les uns : ne réunissent pas entre deux privations ou négations. Ils ne disent pas que les attributs ne sont pas le sujet, et ils ne disent pas qu’ils sont autre chose.[17] Abû elHasan el Ash’arî, qui rallie ce groupe, avance que le Savoir, par exemple, n’est pas Allah Lui-même, et que les Attributs divins sont distincts les uns les autres. Allah est Ancien, et les Attributs sont anciens. Cependant, en réunissant les deux allégations, on ne dit pas que tous (le sujet et les Attributs) sont anciens, de la même manière qu’on ne dit pas qu’il n’est ni Lui ni un autre.[18]

 

Les autres : réunissent entre deux négations. Ils disent que les attributs ne sont ni le sujet ni autre chose. Les tenants de ce groupe, à l’image d’el Bâqallânî, prétendent qu’il y a deux anciens : le sujet et les attributs.[19]

 

B- L’opinion de leurs adversaires

 

Pour leurs adversaires (certains mu’taziliteskarrâmitesshiitesmutafalsifa, etc.), l’altérité est un rapport de comparaison qui permet de distinguer entre deux choses, dans le sens où il est permis d’en connaitre une tout en ignorant l’autre. Selon cette conception, le sujet est différent des attributs.[20] Pourtant, ses tenants ont une approche différente par rapport aux Attributs ; quand les mu’tazilites les renient carrément, les karrâmites les reconnaissent à outrance en frôlant avec l’anthropomorphisme.

 

En tout cas, une chose est sûre, c’est qu’ils se contredisent autant les uns que les autres en soutenant que le sujet est différent des attributs.[21]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

[1] Minhâj e-sunna (1/130).

 

[2] Minhâj e-sunna (1/131-132).

 

[3] E-tadmûriya (p. 118).

 

[4] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (5/46).

 

[5] Majmû’ el fatâwâ (1/49).

 

[6] Minhâj e-sunna (3/298).

 

[7] Idem. (2/164, 541).

 

[8] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (1/275), et majmû’ el fatâwâ (13/304-305).

 

[9] E-radd ‘alâ el jahmiya wa e-zanâdiqa de l’Imâm Ahmed (p. 85).

 

[10] La fissure ; 8

 

[11] Minhâj e-sunna (1/165).

 

[12] Naqdh asâs e-taqdîs (1/50).

 

[13] Idem. (1/52).

 

[14] Idem. (1/508).

 

[15] Idem. (1/508).

 

[16] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (5/49).

 

[17] Idem.

 

[18] Risâla ilâ ahl e-thaghr d’Abû el Hasan el Ash’arî (p. 219).

 

[19] El insâf (p. 59-60), et tamhîd el awâil wa talkhîs e-dalâil (p. 244-255) d’el Bâqallânî.

 

[20] Naqdh asâs e-taqdîs (1/50).

 

[21] Majmû’ el fatâwâ (3/336).

Chapitre II: 

IBN TAÏMIYA ET LE TARKÎB (4/5)

Au nom d’Allah le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

Ibn Taïmiya et le tarkîb II

(Partie 4) 

 

Voir : el usûl e-latî banâ ‘alaïhâ el mubtadi’a madhhabuhum fî e-Sifât (3/213-269) du D. ‘Abd el Qâdir ibn Mohammed ‘Atâ Sûfî, qui, à l’origine, est une thèse universitaire èsDoctorat.

 

La position des anciens vis-à-vis de ces deux opinions

 

Parfois, les anciens, à l’image de l’Imâm Ahmed, comprenaient le terme « ghaïr » dans le premier sens, et parfois, dans le second. C’est ce qui explique pourquoi il ne faisait pas partie de leur vocabulaire. Ils se méfiaient des expressions à double sens, et qu’affectionnaient les jahmites, car à même d’être modelé en fonction de l’audience.[1]Ces deniers cherchaient à faire passer dans les rangs l’idée que le Coran était créé. Ils piégeaient leurs interlocuteurs avec des questions du genre : le Coran est-il Allah ou bien un autre que Lui ?

 

Ils parvenaient ainsi à déstabiliser leurs adversaires en les entrainant vers la réponse inévitable : Il est un autre qu’Allah ! Ils sortaient alors de leur manche, l’artifice déjà tout préparé : mais toute chose en dehors de Lui est créée !

Par conséquent, si l’on s’en tient à ce raisonnement, le Coran est forcément créé.

 

Les anciens avaient deviné l’astuce qu’ils conjuraient en leur renvoyant la question, mais cette fois, avec le Savoir. C’est exactement ce que fit l’Imâm Ahmed qui fut confronté, lors de son grand débat inquisitoire avec les jahmites, à cette question fourbe. En retour, il leur fustigea au nez : « Et vous, qu’est-ce que vous dites sur le Savoir d’Allah ? Est-il Allah ou bien un autre que Lui ? » Ils en eurent le bec cloué, comme dirait L’autre ![2] L’astuce, c’est qu’il n’est pas possible de dire que le Savoir d’Allah est créé.[3]

 

Ayant plus d’un tour dans son sac, l’Imâm Ahmed leur avait réservé une autre réponse.[4] Bref, ce qui nous intéresse ici, c’est que les anciens refusaient d’entrer dans le jeu des jahmites. Néanmoins, il incombe de relativiser quelque peu ce propos. Ce refus ne les empêchait pas en effet, d’interroger, par condescendance, sur ce qu’on entend par « ghaïr » comme ils le faisaient d’ailleurs avec les autres termes ambigus.

 

Dire que l’Attribut est Allah ou bien un autre que Lui est une affirmation à double tranchant ; en répondant qu’il n’est pas Lui, on laisse entendre qu’il est distinct de Lui, et en répondant qu’il est Lui, on laisse entendre qu’Il ne fait qu’un avec Son Attribut. Dans le premier cas, nous disons que l’attribut d’un objet créé n’est pas distinct de lui, alors que dire de celui du Créateur ! Quoi qu’il soit possible de dire qu’il n’est pas Lui pour distinguer entre le sujet et son attribut.[5]  Ainsi, il devient clair que les anciens avaient recours à l’istifsâl sur ce point comme sur tant d’autres. Si on entend par « ghaïr » que le sujet est distinct de l’attribut, ils le refusent dans ce sens-là, en maintenant que le sujet n’est pas différent de l’attribut (le savoir n’est pas séparé de son essence). La raison, c’est que les attributs sont inhérents à l’essence ; ils n’en sont ni l’agent ni la cause à son origine.[6]

 

Dans le cas des créatures, les attributs essentiels s’éteignent avec la disparition, voire l’affaiblissement de l’essence. Dans ce sens, ils sont déficients et dépendants d’elle. Dans le cas du Dieu Vivant qui ne meurt pas, du Subsistant qui n’est pris ni par la somnolence ni par le sommeil, du Maitre absolu (Samad) vers qui se tourne toute la création pour ses besoins, la chose est littéralement différente. Ses Attributs sont inhérents à Lui et nécessaires, car Il détient la perfection absolue et est exempt de tout défaut. L’un ne va pas sans l’autre.[7] C’est la raison pour laquelle, le Messager d’Allah (r) ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’on jure par l’un des Attributs divins, étant donné que cela ne revient nullement à jurer par un autre qu’Allah.[8] 

 

Cependant, si on entend par « ghaïr » qu’il est possible de connaitre le sujet sans connaitre certains de ses attributs, dans ce cas, et seulement dans ce cas, il n’y a aucun inconvénient à cela. Il va sans dire que le Savoir est différent du Savant, que la Puissance est différente du Puissant, et ainsi de suite.[9]

 

3- L’iftiqâr

 

La dépendance entre également dans l’ensemble des termes ambigus, d’où, pour ne pas changer, le fameux istifsâl. Nous avons vu qu’aux yeux des négateurs Allah n’a pas d’Attributs, car cela reviendrait à dire qu’Il est constitué de Ses parties (les Attributs), et serait, par, conséquent, dépendant d’elles. Mais, qu’entendent-ils par « dépendant » ?

1-              S’agit-il d’une relation de cause à effet ou d’agent et de « patient », dans le sens où la partie d’une chose est soit son agent soit sa cause ? Il va sans dire que cette conception de l’attribut est complètement aberrante.[10]

2-              S’agit-il d’une relation de condition à conditionné, dans le sens où une chose dépend de ses parties. Il y a entre eux une relation d’interdépendance, dans le sens où l’un ne va pas sans l’autre, et que l’un ne peut exister sans l’autre. C’est exactement la relation qui existe entre un sujet et ses attributs. L’existence d’un ensemble est forcément tributaire de ses parties ; il est conditionné à leur présence ; le sujet nécessite donc ses attributs, puisqu’il en est doté et qu’ils sont inhérents à lui.[11]

 

Ainsi, l’Être nécessaire ne peut être tributaire d’un agent extérieur à Lui, mais cela ne l’empêche pas d’avoir des Attributs inhérents à Son Essence. Lorsqu’on le désigne, on fait allusion à l’ensemble ; soit à l’Essence et aux Attributs. Dire qu’Il est dépendant de Ses Attributs, cela revient à dire qu’Il est dépendant de Lui.[12]

 

Explication

 

Il n’est pas faux de dire qu’une chose ne peut existe sans sa « personne », son étant, son être, appelez cela comme vous voulez. Comme il n’est pas faux de dire qu’une chose ne peut exister sans les éléments qui sont à l’intérieur de son être, que l’on peut appeler parties ou attributs. On peut objecter que cela sous-entend un état de dépendance, mais nous répondons que cette dépendance est moins évidente que la première qui lie l’existence d’une chose à celle de son être, ou pour être plus explicite, qui fait dépendre une chose de son être. Si une chose ne peut exister sans son être, à fortiori, elle ne peut exister sans les éléments qui constituent son être, c’est logique !

 

On peut renchérir que Dieu ne peut exister sans Son Être. Ce à quoi nous répondons que cela n’empêche nullement qu’Il soit nécessaire en Lui-même.

 

On peut nous dire enfin qu’Il ne peut exister sans les éléments qui entrent sous Son appellation et avec lesquels on peut Le désigner. Alors, nous répondons qu’à fortiori, que cela ne n’empêche nullement qu’Il soit nécessaire en Lui-même. Il est plus évident en effet d’être dépendant d’un ensemble ou d’un tout, que de n’être dépendant que d’une partie de cet ensemble, c’est logique !

 

Ex. : il est plus éloquent de dépendre de l’ensemble constituant le nombre dix que de ne dépendre que d’un seul des chiffres composant le nombre dix.

 

Ainsi, si l’ensemble d’une chose est dépendant de son être, alors, à fortiori, cela n’empêche pas que cet ensemble soit dépendant de l’une de ses parties ou de ses unités.[13]

 

En plus clair

 

La foi et la raison s’accordent à dire que le Dieu Riche par excellence n’est dépendant d’aucune de Ses créatures. Cependant, est-il sensé de dire qu’Il dépend ou qu’Il a besoin de Son Être, étant donné que Son Être ne subsiste que par Son Être ?[14]

Pour bien comprendre la réponse, il incombe de garder à l’esprit ce qu’on entend par l’expression : Dieu dépend de Son Être. Celle-ci sous-entend deux choses à la fois :

 

-               Soit elle sous-entend que son existence dépende de Son action ou qu’Il se fasse Lui-même, ce qui est complètement absurde.

-               Soit elle sous-entend qu’Il ne peut exister que par Son Être et qu’Il ne peut se passer de Son Être. Dans ce cas, il n’y a aucun mal à dire cela, en sachant qu’Il ne dépend de rien ni personne en dehors de Lui-même, ce qui est élémentaire.[15]

 

Ayant passé cette étape, il reste la question de savoir s’il est pertinent de dire qu’Il est dépendant des éléments qui entrent sous l’appellation de Son Être, et que l’on peut appeler parties, attributs, etc.

 

En fait, cela dépend, encore une fois, de ce qu’on entend par là. Si on entend qu’Il dépend de ces parties ou de ces attributs dans le sens où ils sont les agents à l’origine de Son Existence, nous disons non. Mais si on entend que l’ensemble dépend de ses parties, alors là, nous disons oui. En sachant qu’il est plus normal de dire qu’Il dépend des parties de Son Être que de dire qu’Il dépend de Son Être, alors réfléchissez !

 

La raison

 

Quand on dit que « dix » dépend de « dix », cela ne veut pas dire qu’il dépend d’autre chose. Allah a le plus haut des exemples, mais quand on dit qu’Allah dépend de Son Être, cela ne veut pas dire qu’Il dépend d’autre chose. On peut toujours avancer que « un » dépend de « dix », mais c’est uniquement dans la mesure où la partie dépend de son tout. On peut donc avancer sans crainte et à fortiori, que le tout dépend de son tout. Il est, en effet, plus évident pour un tout de dépendre de ses parties que de dépendre de son tout.

 

Si cela est clair, en restant dans ce registre, il devient facile de comprendre qu’il est plus concevable de dire qu’Allah dépend des éléments qui composent Son Être, Ses Attributs, que de dire qu’Il dépend de Son Être. Ce constat ne s’oppose nullement à un autre constat, soit qu’Allah est nécessaire en Lui-même.[16]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

[1] Idem. (3/336).

 

[2] Idem. (3/337).

 

[3] E-safdiya (1/107).

 

[4] E-radd ‘alâ el jahmiya wa e-zanâdiqa de l’Imâm Ahmed (p. 110).

 

[5] El jawâb e-sahîh li man baddala dîn el Masîh d’ibn Taïmiya (2/154).

 

[6] Idem. (2/149).

 

[7] Naqdh asâs e-taqdîs (1/508).

 

[8] Idem.

 

[9] Bughiya el murtâd d’ibn Taïmiya (p. 426).

 

[10] Naqdh asâs e-taqdîs (1/508).

 

[11] Idem.

 

[12] E-safdiya (1/110).

 

[13] Idem.

 

[14] Majmû’ el fatâwâ (6/348).

 

[15] E-safdiya (1/111).

 

[16] Idem.

Chapitre II: 

IBN TAÏMIYA ET LE TARKÎB (5/5)

Au nom d’Allah le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

Ibn Taïmiya et le tarkîb II

(Partie 5) 

 

Voir : el usûl e-latî banâ ‘alaïhâ el mubtadi’a madhhabuhum fî e-Sifât (3/213-269) du D. ‘Abd el Qâdir ibn Mohammed ‘Atâ Sûfî, qui, à l’origine, est une thèse universitaire èsDoctorat.

 

Remarque

 

Les innovateurs ont leur propre conception de la relation qui existe entre un sujet et ses attributs. Loin de respecter les exigences de la langue, ils parlent de « parties » dont serait composé un sujet. Or, on peut certes leur concéder ce vocabulaire par commodité, mais l’essentiel est de savoir qu’il est matériellement impossible de trouver un sujet dénué de ses attributs. Quand on parle de Dieu, il est impossible de se Le représenter sans Ses Attributs parfaits. Ces derniers font partie intégrante de Sa réalité. Dans ce sens, on ne peut les dissocier de Son Être. On peut certes dire qu’ils sont différents de Son Être, mais quand on évoque Son Nom, on fait allusion à l’addition des deux (Être + Attributs).

 

Ainsi, si les Attributs d’Allah sont autre chose que Son Essence, ils ne sont pas extérieurs à Lui, et ne sont pas autre chose que Son Nom.[1] Il n’est donc pas pertinent d’avancer qu’Allah peut se passer de Ses Attributs parfaits.[2] C’est ce qui nous pousse vers l’étape suivante de notre discours.

 

Les Attributs sont-ils supplémentaires à l’Essence ?

 

C’est le genre d’expression à double tranchant. Si on entend par là qu’Allah a une Essence qui existe par elle-même sans n’avoir besoin d’Attributs, alors nous répondons qu’elle est complètement erronée. Néanmoins, elle peut vouloir dire que les Attributs sont supplémentaires à l’Essence dans le sens où ils sont différents d’elle et qu’il est possible mentalement de faire cette distinction. Dans ce cas, il n’y a pas de mal à l’utiliser, tout en sachant que dans la réalité, il ne peut y avoir une essence dissociée des attributs qui la particularisent. En outre, les anciens et les grandes références traditionalistes n’ont jamais imaginé une Essence dépourvue de ses Attributs, avant qu’on puisse leur faire dire que ces Attributs étaient supplémentaires à l’Essence ![3]

 

Mais encore ?

 

Ce point mérite de plus amples explications. Pour mieux comprendre la chose, il incombe de se pencher sur le terme dhât (essence) qui est le féminin de dhû. Notons tout d’abord qu’au départ, il n’était jamais utilisé seul, dans le sens où il était associé à un autre terme avec lequel il avait un rapport d’annexion (idhâfa). En l’occurrence, concernant Dieu, il était annexé à SifâtDhât Sifât désigne un Être qui est doté d’Attributs. En d’autres termes, Allah est doté du Savoir, de l’Ouïe, de la Vue, etc. Les anciens ne l’utilisaient dans aucun autre sens. C’est seulement avec l’avènement dukalâm qu’il prit une nouvelle extension. Il désigne désormais pour les mutakallimîns une Essence dépourvue d’Attributs.

 

Certes, certains textes font mention de « Dhât Allah ». Selon un hadîth authentique notamment : « Ibrahim n’a jamais menti, sauf dans trois situation ; mais à chaque fois, il le faisait pour Dhât Allah. »[4] Il le faisait pour gagner Son Agrément, et plaire à Son Visage. Il existe une relation de possession entre dhât et le nom qui l’accompagne.[Allah connait ce qu’il y a dans les cœurs].[5] Il connait le fond des pensées qui sont cachées dans les poitrines (dhât e-sudûr). Il y a donc une relation de possession entre la poitrine et les pensées qu’elle renferme.

 

Dhû/dhât peut être annexé à des noms communs (dhû ‘ilm désigne une personne qui a du savoir, ‘aïn dhât mâ est une source ayant de l’eau) ou a des noms propres (dhû‘Amr).

 

Par ailleurs, dhât exprime également une relation entre les attributs et le sujet (nafs) avec lequel ils sont annexés. Ex. : nafs dhât ‘ilm désigne une personne douée du savoir. Néanmoins, la langue ne s’encombre plus d’un tel procédé et, pour faire court, passe directement au terme dhât qui remplace désormais le sujet. Ainsi, par extension, dhâtutilisé sans annexion est synonyme de nafs désignant une entité ou une personne qui possède ou qui est dotée d’attributs.[6]

 

Or, cette relation de possession que renferme le terme dhât demeure toujours, mais implicitement. Il ne peut y avoir un sujet sans attributs, du noir sans couleur, un savoir sans savant, ou un savant sans savoir.[7]

 

Désormais, l’article « el » dans e-dhât qui est la contraction d’el dhât, remplace ou compense cette relation implicite. Dans le cas de Dhât Allah, on comprend automatiquement qu’il existe une relation indissociable entre l’Essence d’Allah et Ses Attributs essentiels. Allah est doté de la Vie, du Savoir, de la Puissance, etc.

 

Retour à la question

 

Si cela est clair, à quoi bon se demander si les Attributs sont ou non supplémentaires à l’essence ? L’intérêt d’une telle question se fait ressentir lorsque les jahmites entrent en scène. Ces derniers ne conçoivent pas qu’Allah soit doté d’Attributs parfaits. Ils reprochent aux musulmans d’ajouter des Attributs à l’Essence divine. Les longues polémiques qui opposèrent à travers l’Histoire les jahmites à leurs détracteurs, toute tendance confondue, engendrèrent le principe selon lequel les Attributs sont supplémentaires à l’Essence. Les détracteurs des jahmites ne voulaient pas dire par là que l’Essence se distinguait des Attributs, mais ils réfutaient la conception jahmite selon laquelle l’Essence était dépourvu d’Attributs. Une telle représentation est purement mentale, mais elle est concrètement impossible. C’est comme s’imaginer, toute proportion gardée, un palmier sans tronc, sans feuille, ni racine, etc.

 

Ainsi, tout devient plus clair et se dissipe la confusion que pouvaient faire régner des termes comme « supplémentaires », « ajoutés », « additionnés ». Il est faut d’en comprendre qu’on ajoute quelque chose à ce qui est déjà complet. Cependant, ils apportent un renseignement supplémentaire sur le crédo du musulman, soit qu’Allah est doté d’Attributs.[8]

 

Une seule unité ne peut procéder de l’Un

 

Pour finir, il nous reste à discuter du principe « métaphysique » selon lequel, Dieu est Un et une seule unité ne peut procéder de Lui. Les philosophes ont mis sur pied ce principe en vue d’exempter Allah de tous Ses Attributs. Or, ce malheureux principe implique deux choses encore plus tristes que celles auxquelles ils voulaient échapper !

 

Ce principe implique de renier l’une des plus grandes particularités d’Allah

 

Il faut savoir tout d’abord que toutes les créations sont dépendantes les unes les autres, et qu’il n’en existe aucune qui aurait une autonomie absolue. Elles ont besoin de s’associer et de s’entraider dans leurs actions qui deviennent effectives à condition qu’aucun obstacle ne vienne les contrecarrer.[9] En dehors d’Allah, rien ni personne n’est capable de faire quoi que ce soit sans s’appuyer sur une aide extérieure ou sur une cause qui est indépendante de sa volonté. Allah est le Créateur absolu et le Seigneur absolu, et personne d’autre que Lui ne mérite une telle désignation.[10]

 

Il est donc faux et complètement aberrant de dire qu’une seule unité ne peut procéder de l’Unique, étant donné qu’Il est le Seul Créateur de toute chose et qu’il n’existe aucune créature autonome.[11]

 

Ex. : les rayons du soleil ont certes une cause naturelle que l’on peut matériellement expliquer, mais le soleil n’est pas le seul à intervenir dans ce phénomène ; ils sont en effet le résultat d’une réflexion sur un corps extérieur. Leur présence réclame deux choses : la présence d’un corps, et l’absence d’obstacle (ex. : un rideau) qui les empêcheraient de parvenir à ce corps.[12]

 

Résultat : toutes les créations sont impuissantes et tributaires d’autre chose.[13]Avec ce principe, nos « amis » philosophes ne font rien d’autre que de « mutiler » l’une des grandes particularités du Seigneur de l’Univers, et qui n’est autre que l’indépendance et l’autonomie absolue.

 

Ce principe implique de mentalement se représenter une chose qui n’a aucune existence extérieure

 

Nous avons déjà expliqué ce point dans les lignes précédentes, et nous en reparlerons,  in shâ Allah, dans la prochaine série d’articles qui sera consacrée aux deux plus grands arguments que les tenants du tarkîb utilisent pour conforter leur tendance.

 

Wa Allah a’lam !

 

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

 

 

[1] Idem. (1/108-109). 

 

[2] Majmû’ el fatâwâ (5/283).

 

[3] Idem. (17/161).

 

[4] Rapporté par Bukhârî (3/461), et Muslim (4/184).

 

[5] La duperie mutuelle ; 4

 

[6] E-safdiya (1/109).

 

[7] Idem.

 

[8] Idem. (1/108).

 

[9] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (9/338).

 

[10] Idem. (9/369).

 

[11] E-tadmûriya (p. 211).

 

[12] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (9/339).

 

[13] Idem. (9/340).

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