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Louange à Allah, nous Le louons, nous implorons Son aide et Son pardon. Nous cherchons refuge auprès d’Allah contre les maux de nos âmes et les méfaits de nos actions. Celui qu’Allah guide, nul ne peut l’égarer et celui qu’Il égare nul ne peut le guider.  J’atteste qu’il n’y a d’autre divinité (digne d’être adoré) en dehors d’Allah, Seul et sans associé, et j’atteste que Mohammed est Son serviteur et Son Messager.

 

Il existe un long passage d’ibn Taïmiya tiré de e-radd ‘alâ el bakrî ou de son autre titre el istighâtha, que l’adversaire reprend curieusement à son compte, bien qu’il fustige littéralement sa tendance. Voici le Passage en question : « Il est connu de façon élémentaire que le Prophète (r) n’a jamais légiféré à sa communauté d’invoquer qui que ce soit parmi les morts : Prophètes, gens pieux, etc. ni à travers la formule d’el istighâtha(appel au secours) ou autre ni à travers la formule d’el isti’âna(appel au soutien) ou autre. Il n’a pas légiféré non plus à sa communauté de se prosterner pour un mort ou en sa direction, etc. Nous savons plutôt qu’il (r) a formellement interdit ce genre de pratiques qu’il a jugées comme relevant de l’association interdite par Allah et Son Messager.

 

Néanmoins, en raison de l’ignorance prépondérante, du nombre restreint de personnes initiées aux traces de la Prophétie parmi les dernières générations, nous ne pouvons pas condamner (kaffara) facilement les gens d’apostats pour ces raisons ; pas avant de les avoir mis au courant des enseignements du Messager stipulant la non-pertinence de leurs pratiques. C’est pourquoi, je n’ai jamais démontré ce point à des personnes imprégnées de l’Islam sans qu’elles ne se remettent en question en disant : c’est le principe même de la religion. Certains grands doyens expérimentés parmi nos amis disaient : c’est la plus grande chose que tu ais pu nous expliquer, car ils avaient pleine conscience que cela concernait le principe élémentaire de la religion. »[1]

 

Voici ce qu’en conclut l’adversaire : « Lorsque le fondement de l’Islam devient un enseignement subtil dans certaines époques - à cause du manque de prêcheur à la vérité et du grand nombre de prêcheurs au mal- et que les gens ne sont plus capable de comprendre le fondement de la religion : on se retrouve dans une époque de rupture. Ainsi, le mécréant qui meurt dans une telle époque ne méritera pas automatiquement l’enfer comme le mentionna Ibn Taymiya concernant certains Tatars qui adoraient des poupées et du feu. »

 

Or, il suffit de remonter quelques lignes au-dessus du passage en question pour se rendre compte que Sheïkh el Islam ne dit pas vraiment cela. Qu’on en juge : « Quant à ces ignorants, comparables aux païens et aux chrétiens, ils s’inspirent de hadîthfaibles ou inventés, de citations de savants qui ne font pas autorités, ou qui leur sont mensongèrement imputées, ou tout simplement qui sont des erreurs de leur part…

Je ne connais personne ayant rapporté une annale d’un savant de référence autorisant d’invoquer une créature. Certes, certains dévots comme le poète Sheïkh Yahyâ e-Sarsarî[2] et Sheïkh Mohammed ibn e-Nu’mân,[3]auteur de kitâb el mustaghîth bi e-Nabî fî el yaqazha wa el manâm, en vantent les vertus dans leurs ouvrages.

 

Certes, ces gens-là sont des pieux et des religieux, mais ils n’ont aucun lien avec les savants qui sont à même de pénétrer les intentions du Législateur. C’est de ces derniers que l’on prend les enseignements de la religion, car experts en Loi (le licite et l’illicite). Quant à ces dévots, ils ne se basent sur aucune preuve textuelle ni même une parole d’un savant de référence. Leurs pratiques sont plutôt à mettre au compte de l’usage. Beaucoup de gens en effet ont pris l’habitude de se tourner vers leurs Sheïkhdans les moments difficiles pour lui solliciter son aide. Je connais personnellement certains Sheïkhconnus pour leur ascétisme et leur piété, s’avancer solennellement vers la tombe d’Abd el Qâdir pour lui implorer le secours. Cette pratique est courante chez beaucoup de gens. Lorsqu’on attira l’attention de certains émérites parmi eux, ils revinrent tout de suite à la raison et comprirent que leur pratique n’avait rien à voir avec l’Islam, mais qu’elle était plus comparable à l’adoration des idoles. »[4]

 

En explication à ce passage, Sheïkh ‘Abd e-Rahmân e-Sa’dî souligne : « Un musulman qui adhère à l’Islam au niveau du cœur et des actes peut s’égarer dans certains points, car il n’a pas les éléments en mains pour le faire parvenir à la vérité. Dans ce cas, nous ne sommes pas formels sur son apostasie, étant donné qu’il existe une restriction faisant obstacle à cette condamnation. D’où l’importance d’établir contre lui la preuve céleste ; une preuve céleste qui s’applique contre tout obstiné (mu’ânid).[5]

 

C’est pour cette raison, et vous êtes d’accord avec nous, que nous nous sommes abstenus de kaffar certains cas comme e-Sarsarî, qui appellent à invoquer, à rechercher le secours du Prophète (r), et lui demander de répondre aux besoins. Ces derniers sont directement concernés par les paroles de Sheïkh el Islam auxquelles nous avons fait allusion précédemment. »[6] Il parle du passage suivant : « Dans de nombreux ouvrages(e-radd ‘alâ el bakrî, e-radd ‘alâ el Akhnâî, etc.), Sheïkh el Islâm affirme explicitement que certains de ses contemporains, qui étaient des savants, adhéraient à certaines de ces pratiques païennes. Il explique qu’il est impossible de les kaffar, compte tenue de la propagation de l’ignorance à son époque et de l’atténuation du savoir prophétique. Il faut donc attendre avant de se prononcer de leur démontrer la preuve céleste qui s’applique contre tous ceux qui la renient après l’avoir eu entre les mains. Son discours sur le sujet est connu par tout le monde. »[7]

 

‘Abd e-Latîf a fait plusieurs fois le commentaire de ce fameux passage dans ses ouvrages. Il souligne que Sheïkh el Islam n’a pas kaffar certains de ses contemporains, qui pourtant étaient des savants, car à ses yeux, la preuve céleste n’avait pas été établie contre eux. Ce qui démontre que l’Islam était devenu étranger pour beaucoup de gens à son époque.[8] Il explique également que la plupart des savants accordent à ibn Taïmiya en gros que le Législateur ne tient pas rigueur des erreurs commises avant la transmission du message. Il va sans dire qu’après l’iqâma el hujja, il n’y a plus de contestation possible. Il existe même un consensus sur la question.[9] En revanche, il s’est abstenu de kaffar les ignorants parmi les adorateurs des tombes qui n’avaient pas été prévenus.[10] S’ils refusent de se repentir après avoir eu les preuves en main, ils sont coupables d’apostasie qu’il incombe de réprimer par les armes.[11]

 

Par ailleurs, ‘Abd e-Latîf réfute l’accusation selon laquelle l’Imam Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb sortait les gens de la religion sans faire de détails. Il explique qu’il ne se prononce même pas sur celui qui adore l’idole se trouvant sur la tombe d’Abd el Qâdir et celle d’el Badawî en raison de leur ignorance. Il ne diffère en rien de la voie du Prophète (r), sauf que son discours sera plus ou moins détaillé en fonction de la situation.[12] Ailleurs, il met en lumière les véritables intentions d’ibn Taïmiya et d’ibn el Qaïyim sur la question : « Le discours des deux Sheïkh est suffisamment clair dans tous les passages en question. Ces derniers ne kaffar pas les auteurs de certaines paroles ou de certains actes, étant donné que la chose n’est pas facile à détecter pour ces gens-là, et qu’ils n’ont pas reçu la hujja. Ainsi, ils s’abstiennent de condamner certains fautifs au châtiment avant l’étape de l’iqâma el hujja. Ils parlent de questions bien précises et sur lesquelles il existe une divergence entre les savants de la communauté.

 

Quant à l’invocation et l’appel au secours des morts, en s’orientant vers eux lors des moments difficiles, tout le monde s’accorde à dire que c’est interdit et que cela relève de la grande association. Nous avons vu précédemment que le Sheïkh condamne à la peine de mort quiconque refuse de s’en repentir… »[13]

 

Sheïkh ‘Abd Allah Abâ Btîn a le même discours : « Quant aux paroles d’ibn Taïmiya :« Cependant, en raison de la propagation de l’ignorance dans les rangs de nombreux adeptes de l’Islam parmi les générations récentes, il n’est pas permis de les kaffar avant de leur avoir exposé les enseignements du Prophète (r) » Il parle apparemment du cas particulier, étant donné qu’ailleurs il annonce formellement que l’association relève de la mécréance. Il ne s’abstient nullement de le kaffaraprès que les enseignements lui soient exposés… 

 

Puis, il résout le problème que peut soulever le discours d’ibn Taïmiya : « Pour concorder entre ses paroles, nous devons comprendre ses intentions. Il veut nous dire que nous pouvons entendre certaines paroles, ou certains écrits en prose ou en vers ayant dukufr. Cependant, nous ne pouvons kaffar leur auteur au premier abord. Il faut attendre avant cela de lui exposer la preuve céleste. »[14]

 

Un autre passage d’Abâ Btîn va dans ce sens : « Quant aux paroles d’ibn Taïmiya :« il n’est pas permis de les kaffar avant de leur avoir exposé les enseignements du Prophète (r) » ; Il veut dire qu’il n’est pas permis de les kaffar en personne et en particulier, en disant par exemple qu’un tel est un kâfir. Nous devons dire plutôt que tel acte relève de la mécréance et que son auteur dans l’absolu est un mécréant… »

 

Puis, après une longue explication, il conclut : « Ce discours est basé sur le principe suivant : nous jugeons mécréante dans l’absolu une parole jugée ainsi par les textes du Coran, de la sunna, et du consensus, comme en témoignent les preuves textuelles… mais cela ne veut pas dire qu’il faille juger mécréante toute personne l’ayant prononcé. Il incombe avant cela de réunir les conditions nous permettant de le faire et d’évacuer les restrictions faisant obstacle à notre jugement. »[15]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

 

[1] El istighâtha (2/731).

 

[2] Poète soufi ultra hanbalite (m. 656 h.).

 

[3] Maitre soufi ultra malékite  (m. 656 h.).

 

[4] El istighâtha (2/731).

 

[5] Voir : majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (12/180).

 

[6] fatâwâ e-sa’diya (578-584) ; voir : El irshâd ilâ ma’rifat el ahkâm (p. 558-559).

 

[7] Idem.

 

[8] Voir : e-durar e-saniya (1/417-418).

 

[9] ‘Abd e-Latîf rapporte le consensus dans e-durar e-saniya (1/467-468).

 

[10] Voir : misbâh e-zhalâm (p. 324-325).

 

[11] Voir : e-durar e-saniya (1/427).

 

[12] Voir : misbâh e-zhalâm (p. 43).

 

[13] Voir : minhâj e-ta-sîs (p. 265).

 

[14] E-durar e-saniya (10/403).

 

[15] E-durar e-saniya (12/88).

IBN TAÏMIYA ET LES SAVANTS D’AIMMAT E-DA’WA  (1/4)

IBN TAÏMIYA ET LES SAVANTS D’AIMMAT E-DA’WA  (2/4)

Sheïkh ‘Abd Allah Abâ Btîn se chargea de réfuter la tendance erronée et véhiculée par Dâwûd ibn Jarsîs et ibn ‘Ajlân. Ces deux hommes l’imputaient à ibn Taïmiya et son élève ibn el Qaïyim. Ils prétendaient que l’erreur d’interprétation rapportait systématiquement une récompense en plus du fait qu’elle était excusable. Ils voulaient  faire passer l’idée que seul un obstiné pouvait sortir de l’Islam. Le suivisme aveugle et l’ignorance seraient, à leurs yeux, dans tous les cas excusables.

 

Voici un passage de la réfutation qu’il leur consacra : « Ceux qui polémiquent en faveur des païens s’inspirent de l’histoire de l’homme ayant demandé à sa famille de brûler son corps après sa mort. Ils en concluent que l’ignorant ayant commis un acte de mécréance (kufr) est excusable. Seul un obstiné, à leurs yeux (mu’ânid), peut devenir mécréant…

 

Dans les ouvrages de figh, les légistes – qu’Allah leur fasse miséricorde – définissent l’apostat comme suit : un musulman qui renie sa religion dans les paroles, les actes, la croyance, ou par scepticisme. Or, c’est l’ignorance qui est la cause du scepticisme. Cela impliquerait de ne pas kaffar les Juifs, les chrétiens, ceux qui se prosternent pour le soleil, la lune, et les idoles en raison de leur ignorance ! On devrait dire la même chose pour ceux qu’Ali ibn Abî Tâlib a condamnés au bûché, alors que nul ne doute qu’ils fussent des ignorants. Les savants – qu’Allah leur fasse miséricorde – sont unanimes à sortir de la religion celui qui ne kaffar pas les Juifs et les chrétiens ou qui tout simplement douterait de leur mécréance. Pourtant, nous sommes convaincus que la plupart d’entre eux sont des ignorants…

 

(…) Quant à l’homme qui demanda à sa famille de brûler son corps après sa mort, Allah lui pardonna certes, bien qu’il doutait d’un Attribut divin. La raison, c’est que la preuve céleste ne lui était pas parvenue sur le sujet, comme le prétend plus d’un savant.

 Sheïkh Taq-ï e-Dîn [ibn Taïmiya] – qu’Allah lui fasse miséricorde – explique qu’en doutant d’un des Attributs du Seigneur on devient mécréant ; dans le cas d’un individu qui n’est pas censé ignorer ce point. Ce statut n’englobe pas celui qui n’est pas censé le savoir. C’est la raison pour laquelle le Prophète (r) n’a pas kaffarl’homme ayant douté pourtant du Pouvoir d’Allah, étant donné que la preuve céleste ne lui était pas parvenue. »[1]

 

Nous avons, dans autre article, expliqué en détail ce passage qui peut paraitre obscur. Ce qui nous intéresse ici, c’est qu’aimmat e-da’wa, avec à leur tête l’Imam Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb reproche à Dawûd ibn Jarsîs d’adhérer à la tendance selon laquelle toute erreur est excusable ou toute interprétation des textes est tolérable, comme s’il n’existait aucune interprétation condamnable (ta-wîl bâtil ou fâsid). Il souligne que les textes d’ibn Taïmiya qu’il utilise ne vont absolument pas dans le sens qu’il lui donne.[2]

 

‘Abd Allah, le fils de l’Iman s’inspire également du texte d’ibn Taïmiya cité plus haut. Voici la teneur de ses paroles : « Faire des demandes au mort et l’appeler au secours pour résoudre ses problèmes relève de la grande association condamnée par Allah (I) et Son Messager. Tous les Livres célestes et les prédications prophétiques s’accorde à l’interdire, à kaffar tout coupable, à se désolidariser de lui, et à s’en faire un ennemi.

 

Cependant, les périodes où la lumière de la prophétie s’est estompée (fatarât) et où l’ignorance est répandue, il n’est pas permis de kaffarun cas particulier avant d’appliquer contre lui la preuve céleste, et de lui montrer la vérité. Qu’il sache qu’il a commis un acte relevant de la grande association condamnée par Allah et Son Messager. Ainsi, dès qu’il reçoit la hujja, qu’on lui récite les Versets coraniques et les hadîth prophétiques sur la question, il devient mécréant en s’entêtant à faire de l’association.

 

Son cas est donc différent de celui qui le fait par ignorance et qui n’a pas été prévenu. Nous disons pour l’ignorant que son acte est de la mécréance, mais nous ne le taxons pas de mécréant pour autant, pas avant de lui avoir transmis la hujja. Si, après l’iqâma elhujja, il persiste à faire du shirk, il devient alors mécréant, bien qu’il dise lâ ilâh illâ Allah Mohammed Rasûl Allah, qu’il fasse la prière, qu’il verse l’aumône et qu’il croit aux six piliers de la foi…

 

Quant au mort, qui faisait du shirkau cours de sa vie, nous remettons son sort à Allah (I). Il ne faut pas lui consacrer d’invocations ni prier pour lui le Pardon et la Miséricorde d’Allah. La raison, c’est que de nombreux savants avancent que le Coran suffit en lui-même pour établir la hujja, comme le confirme le Verset : [afin qu’il vous avertisse par son biais, et tous ceux qui le reçoivent].[3] Si quelqu’un se détourne du Coran après l’avoir reçu et qu’il ne se renseigne pas sur ses lois (obligations/interdictions), il mérite le châtiment. Allah (I) a dit : [à celui qui se détourne de Mon Rappel, Je lui infligerais une vie malheureuse].[4] Puis, il enchaîne : [Alors que tu avais reçu Mon Rappel ; ceux qui s’en détournent porteront leur péché, le Jour de la Résurrection • Ils y demeureront à jamais]. »[5]

 

Contre toute attente, la fin du passage ne va pas en faveur de l’adversaire, bien que, il est vrai, il reste ambigu. D’autres passages de ce même ‘Abd Allah sont tout aussi ambigus,[6] mais en aucun cas, ils ne viennent conforter la théorie du ism et du hukm, ou du moins, pas de la façon dont la présente l’adversaire, wa Allah a’lam !

 

Sheïkh ‘Abd el ‘Azîz e-Râjihî, un savant contemporain, élude ce genre de passages que l’on retrouve chez certains savants d’aimmat e-da’wa. Partisan de la tendance selon laquelle, en faisant du shirk on ne peut en aucun cas rester dans le cercle des musulmans, il suggère de remettre son sort à Allah. Le coupable aura, à ses yeux, le même statut que lors des périodes de « rupture » de la prophétie, pour reprendre les termes de l’adversaire. Néanmoins, sur terre, on lui réserve le même sort que les païens (on ne le lave pas, on ne prie pas sur lui et on ne l’enterre pas dans un cimetière musulman).[7] Quoi qu’il en soit, en plus du fait que cette opinion ne fasse pas l’unanimité des savants, comme nous l’avons expliqué à maintes reprises, nous pouvons remarquer qu’il taxe le coupable de mécréant sans faire de distinction entre le ism et lehukm. Les tenants de cette opinion le prennent pour un murtad (apostat), voire un mécréant d’origine, mais ils s’abstiennent simplement de le promettre à l’Enfer, conformément notamment à la croyance traditionaliste, wa Allah a’lam !

 

Sheïkh Hamd ibn ‘Atîq a des paroles qui vont dans ce sens : « Quiconque reçoit la prédication mohammadienne à laquelle nous appelons, et qu’il s’y soumet ensuite, il est un musulman promis au Paradis, indépendamment de l’époque ou de l’endroit où il se trouve ; soit en vouant le culte exclusif à Allah sans Lui vouer d’associer et en adhérant aux lois de l’Islam. Cependant, certains sont comparables aux païens de l’ère préislamique ; ils n’ont aucune connaissance de l’unicité pour laquelle Mohammed fut envoyé aux hommes ; ni de l’association qu’il a combattue par les armes. Dans ce cas, on ne peut parler de musulmans en raison de leur ignorance. Quiconque commet l’association en apparence est considéré comme un mécréant en apparence. Ainsi, on ne demande pas le pardon en sa faveur et on ne fait pas l’aumône pour lui. Nous remettons son sort à Allah qui connait le fond des poitrines.

 

Au même moment, nous ne disons pas qu’il est un mécréant, étant donné que nous faisons une distinction entre les cas. Nous ne condamnons pas un cas particulier à la mécréance, car nous ne sommes pas à même de sonder les cœurs. Nous remettons donc son sort à Allah…

 

Les étudiants en science doivent bien comprendre cette distinction. Nous condamnons à la mécréance celui qui adhère à une autre religion que l’Islam, mais nous ne disons pas qu’un tel ira au feu. Nous maudissons les injustes, mais nous ne maudissons pas un tel en particulier. »[8]

 

Ainsi, il établit qu’en règle générale la grande association ou la grande mécréance fait sortir de la religion. Puis, il explique que nous remettons à Allah le sort d’un cas particulier, sans lui appliquer le takfîr. Gardons à l’esprit que les points de vue des savants divergent pour un même individu. Au moment où certains pensent qu’il est mécréant, d’autres ne sont pas aussi formels, compte tenu des éléments qu’ils ont en mains les abstenant de se prononcer.

 

Certains passages d’aimmat e-da’walaissent à penser en effet qu’ils ne se prononcent pas sur certains cas particuliers. Sheïkh  ‘Abd el Muhsin el ‘Abbâd impute cette tendance à ibn Taïmiya et ibn ‘Abd el Wahhâb.[9] Le dernier cité est l’auteur des paroles : « Quant à celui qui commet [l’associationpar ignorance, mais qui n’a personne sous la main pour le conseiller et qui n’étudient pas la religion révélée par Allah à Son Messager, enclin qu’il est à ses pulsions et à la vie terrestre, je ne peux rien dire sur son sort. »[10] Il fait allusion à une catégorie précise d’individus qui n’ont pas accès à la vérité, tout en l’ayant recherchée, comme nous l’avons évoqué, wa Allah a’lam ! 

 

Dans un courrier, Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb reproche à certains de ses « partisans » de ne pas faire cette nuance. Il explique notamment que seulement trois catégories d’individus sont excusables.

 

1-       Le nouveau converti.

2-      Le bédouin qui vit loin des villes.

3-      Et celui qui se trompe sur des questions subtiles de la religion, ex. : certaines formes de sorcellerie.[11]

 

Tous ont un point commun. Autrement dit, ils n’ont pas accès matériellement au savoir. C’est ce qui nous pousse à dire que la notion de subtilité est relative. Elle varie certes en fonction des sujets, mais aussi en fonction des époques, des endroits et des personnes.

 

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

 

[1] El intisâr li hisb Allah el muwahhidîn (p. 16-18) ; voir également : e-durar e-saniya(12/72-73) et (12/85). Je reviendrais plus tard in shâ Allah sur ce discours Abâ Btîn qui peut poser problème pour un lecteur non averti.

 

[2] kashf e-shubhataïn (p. 80-81).

 

[3] Le bétail ; 19

 

[4] Ta-Hâ ; 124

 

[5] Majmû’ e-rasâil wa el masâil (1/79-80).

 

[6] Voir : e-durar e-saniya (10/136-137) ; hamd ibn Nâsir a également des paroles de ce genre dans e-durar e-saniya (10/335-337).

 

[7] Voir : as-ila wa ajwiba fî el kufr wa el îmân (p. 29-30).

 

[8] E-durar e-saniya (11/75-76) ; voir également : majmû’a e-rasâil wa el masâil (1/589).

 

[9] Voir : Taxer d’apostasie un cas particulier.

 

[10] Voir : fatâwâ wa masâil comprise dans majmû’ muallafat e-Sheïkh (2/3/21-22).

 

[11] Idem. (10/93-95)

IBN TAÏMIYA ET LES SAVANTS D’AIMMAT E-DA’WA  (3/4)

Nous comprenons également des paroles de l’Imam Mohammed que le manque de volonté n’est pas une excuse en soi. C’est pourquoi, en vivant en terre d’Islam, et en étant matériellement capable d’étudier les questions qui touchent à l’unicité, nul n’est censé les ignorer. C’est dans ce cas qu’on peut avancer que la présence du Coran exposant l’importance du monothéisme et condamnant l’association suffit à elle seule. En revanche, si, malgré tous ses efforts dans la recherche de la vérité, quelqu’un commet une annulation de l’Islam soit involontairement, soit par une mauvaise interprétation des textes soit par ignorance, il est excusable. Il n’est plus excusable, si, ayant reçu la vérité, il s’en détourne, soit par négligence soit par orgueil. Ainsi, ces deux sentiments, qui font obstacle à la réception du message, sont blâmables sous tous les points de vue.

 

De nombreux passages de ses ouvrages établissent ce principe. Un jour, on lui posa une question sur un hadîth qui annonçait le Paradis au musulman. On voulait savoir s’il concernait uniquement le musulman n’ayant aucun acte d’association à son passif. Voici quelle fut sa réponse : « … Quant au croyant qui commet de l’association sans s’en rendre compte, malgré tous les efforts qu’il entreprend pour être conforme aux enseignements d’Allah et de Son Messager, il est à espérer qu’il soit toujours concerné par la promesse dont fait mention le hadîth en question.

 

Plusieurs Compagnons commirent à leur époque ce genre de choses. Ils juraient par leurs pères et par la Ka’ba ; ils avaient des expressions du genre : « si Allah et Mohammed le veulent ! » ou « désigne-nous un arbre où nous pourrons suspendre nos armes ! » Cependant, dès qu’ils se rendaient compte de leurs erreurs, ils revenaient dessus immédiatement. Ils ne cherchaient nullement à polémiquer ni à défendre aveuglément leurs coutumes et leurs ancêtres.

 

Quant à celui qui prétend adhérer à l’Islam, mais qui commet des actes d’associations abominables, et qui se détourne par orgueil des Versets qu’on lui récite, je dis qu’il n’est pas musulman… »[1]

 

En parlant des mauvais savants, il explique ailleurs, « Pire, pour eux, les bawâdî, qui n’ont pas un poil d’appartenance à l’Islam, sous le simple prétexte qu’ils disent lâ ilâh ilâ Allah, sont musulmans. L’Islam aurait rendu sacrés leur sang et leurs biens, alors que selon leurs propres aveux, ils l’ont tout délaissé. Ces savants savent très bien que ces bédouins renient la Résurrection et qu’ils se moquent de ceux qui la reconnaissent.

 

Ces bédouins se moquent de la religion et préfèrent celle de leurs ancêtres à celle du Prophète (r). Cela n’empêche pas à ces démons rebelles et ignorants d’avancer que ces bédouins ont bel et bien embrassé l’Islam, quoi qu’ils aient pu faire. L’important, c’est qu’ils disent lâ ilâh ilâ Allah. À les entendre, les Juifs seraient musulmans, car eux aussi le disent tout autant. Par ailleurs, leur état de mécréance est bien plus grave que celui des Juifs. J’entends par là, les bédouins qui répondent au signalement que nous avons donné. »[2] 

 

Ailleurs, il explique que ces bédouins refusaient de se soumettre à la vraie religion par obstination (‘inâd) et moquerie. Ils s’acharnaient à suivre leur Tâghût aux dépens de la Loi d’Allah,[3] ce qui en soi est inexcusable. Ainsi, le discours ne sera pas le même en fonction des cas. Malheureusement, beaucoup ne perçoivent pas ces nuances ; c’est ce qui les fait sombrer dans la contradiction, la confusion, et surtout de fausses implications. ‘Abd Allah, le fils de l’Imam met en garde contre les fausses implications. Il explique qu’en condamnant le shirk, cela ne voue pas forcément la grande majorité de musulmans à l’apostasie, surtout ceux qui sont déjà morts.

 

À ses yeux, il n’est pas décent d’entrer dans les affaires de ceux qui ont quitté ce monde. Le discours véhément d’aimmat da’wa s’adresse plutôt contre certains de leurs contemporains parmi les tribus de la Péninsule qui se sont opposées à leur prédication, la plupart du temps, par orgueil et obstination. Dans des cas plus rares, celles qui prenaient simplement la défense des tribus rebelles étaient tout autant passées au fil de l’épée. L’erreur est humaine, les Compagnons eux-mêmes n’y ont pas échappé. Il est difficile de se faire une idée précise sur tout le monde, surtout ceux des générations passées. Il est plus sage parfois, faute d’avoir suffisamment d’éléments en mains, de s’abstenir de donner un jugement. D’autant plus, qu’il est matériellement difficile, pour ne pas dire impossible, de distinguer entre ceux à qui on peut réellement donner des circonstances atténuantes et les autres. Gardons à l’esprit qu’aimmat da’wa n’ont paskaffar les savants plus anciens, comme ibn Hajar el Haïthamî, qui avaient pourtant des erreurs dans la croyance (‘aqida).[4]

 

‘Abd Allah est l’auteur des paroles : « Pour la réponse à la troisième question disant : celui qui commet un acte de mécréance sans intention, mais par ignorance, est-il excusable ou non, que ce soit au niveau des paroles, des actes, de la croyance ou en faisant du tawassul ?

Nous disons en réponse : si quelqu’un qui croit en Dieu et à Son Message commet dukufr, car ignorant des enseignements d’Allah et de Son Messager, que ce soit au niveau de la croyance, de la parole ou des actes, il n’est pas pour nous un mécréant ; et nous ne le taxons pas ainsi avant d’avoir appliqué contre lui la preuve céleste qui voue à la mécréance celui qui va à son encontre. Après l’iqâma el hujja, soit, après que les enseignements du Messager (r) lui soient parvenus, il devient mécréant en persistant dans son égarement… le Coran suffit en lui-même pour établir la hujja contre lui. Cependant, il  a besoin que les savants lui expliquent la chose, wa Allah (I)  a’lam ! »[5]

 

Le premier homme de la da’wa najdite répétait souvent dans ses assemblées qu’il ne condamnait personne à la mécréance avant l’iqâma el hujja. Il allait jusqu’à s’abstenir de se prononcer sur les adorateurs du mausolée el Kawwâz, étant donné que personne ne leur avait fait passer le message.[6] Ils sont considérés comme vivant dans une période de fatra (période où la lumière de la prophétie s’est estompée), ce qui en soi, leur offre une circonstance atténuante. Cependant, après la hujja ils n’ont plus d’excuse, même s’ils ne comprennent pas leur erreur.[7]

 

Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb et son petit-fils ‘Abd e-Latîf reprennent les paroles suivantes d’ibn Taïmiya : « Quant à moi, – ceux  qui s’assoient avec moi le savent très bien –, je compte parmi les gens qui défendent avec le plus d’acharnement de condamner une personne en particulier soit de kâfir, soit de fâsîq soit de ‘âsî (…)j’expliquais que les paroles des anciens et des grandes références qui parlent du takfir el mutlaq en disant : celui qui fait telle et telle chose est un kafir ; j’expliquais qu’elles étaient justes, mais qu’il incombait également de faire la différence entre le mutlaq (le cas général) et le mu’aïyin (le cas particulier). »[8]

 

Puis, le premier homme de la da’wa najdite fait le commentaire suivant : « Voici sa tendance sur la question dans tous les passages que nous avons trouvé de ses ouvrages. Il ne parle pas du takfîr mu’aïyin sans le faire suivre d’une explication qui vient dissiper toute confusion. Autrement dit, il s’abstient de kaffar un cas particulier avant que la hujjane lui soit parvenue. Après cela, il donne le statut correspondant (takfîr, tafsîq, ma’siya)au cas en question… »[9]

 

L’ouvrage kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd fut consacré en réponse à certains contemporains de la da’wa nadjite qui reniaient le takfîr mu’aïyin dans l’absolu. Ces derniers s’inspiraient notamment du discours d’ibn Taïmiya qui s’abstenait, comme nous l’avons vu, de se prononcer sur un cas particulier avant l’iqâma el hujja. En s’inspirant d’exemples historiques et de certains passages d’ibn Taïmiya, les deux Imam démontrent que cette allégation est née d’une confusion énorme. Pour ne citer qu’ibn Taïmiya, ce dernier taxe d’apostasie certaines adeptes du soufisme panthéiste etjahmiste comme el Hallâj, ibn Sab’în, ibn ‘Arabî, el Qunâwî, e-Tlemcenî.[10]

 

Ainsi, contrairement à la tendance des murjites, pour ibn Taïmiya et les traditionalistes en général, après l’iqâma el hujja, tout individu qui commet du shirk akbar devient mécréant.

 

Voici un passage éloquent de ce fameux ouvrage : « Désobéir au Messager (r) dans le domaine de l’association et de l’adoration des idoles, relève, après avoir transmis le message, de la mécréance manifeste. Et cela, conformément à la nature, la raison, et aux notions élémentaires de la religion. Si on demandait au plus idiot des hommes : quel est ton avis sur celui qui désobéit au Messager (r), et qui ne se soumet pas à ses enseignements enjoignant de délaisser l’adoration des idoles et l’association, bien qu’il prétende être un musulman conforme au Prophète (r) ? Il répondra spontanément et de façon élémentaire qu’il est un kâfir. Il n’a même pas besoin d’étudier la question pour le savoir ni de questionner un savant. Cependant, les périodes où l’ignorance est répandue et où le savoir est devenu étranger, et où se multiplient les mulhidîn abordant ce sujet, la question est devenue confuse chez certains gens simples parmi les musulmans, qui aiment pourtant la vérité… »[11]

 

Or, ‘Abd Allah, le fils de l’Imam, ne voyait pas d’inconvénients à donner des excuses à certains savants des générations plus anciennes, comme ibn Hajar el Haïthamî, ayant commis des erreurs dans le tawhîd, quand bien même, ils auraient persisté dans leurs erreurs. La raison, c’est qu’ils n’avaient personne pour leur montrer le bon chemin. La complicité des Pouvoirs en place avec les idées hérétiques n’arrangeait pas les choses.[12] Ailleurs, il souligne : « Quant au takfîr mu’aïyin de ce genre d’ignorants, et qui consiste à les considérer dans les rangs des non-musulmans, il n’est pas permis de s’y aventurer avant d’avoir établi contre l’un d’entre eux, la preuve céleste ; celle qui leur montre qu’ils vont à l’encontre du Messager (r), et que leur parole relève de la mécréance sans aucun doute possible. »[13]

 

C’est exactement le discours d’ibn Taïmiya disant : « En principe, toute parole qui relève de la mécréance, selon le Livre d’Allah, la sunna et le consensus des savants, est jugée ainsi dans l’absolu (qawl yutlaq), comme le prouvent les arguments textuels ; la foi fait partie des lois qui émanent d’Allah et de son Messager. Elle n’est pas laissée à l’initiative des hommes laissant libre court aux passions et aux suspicions. De plus, toute personne disant ces paroles n’est pas nécessairement un kâfirsans remplir les conditions ni écarter toute restriction possible pour le devenir. »[14]

 

‘Abd e-Latîf ibn ‘Abd e-Rahmân reprend ce passage avant de faire le commentaire suivant : « C’est exactement ce que nous disons. Nous n’ajoutons pas une lettre à ce discours. Il est même plus catégorique que le nôtre ; il renferme le takfîr de certains points subsidiaires qui sont bien loin de la question sur laquelle nous divergeons…

 

Notre Sheïkh Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb établissait dans ses assemblées et ses lettres qu’il n’avait pas recours au takfîr avant l’iqâma el hujja… si telle était la tendance de notre Sheïkh – qu’Allah lui fasse miséricorde –, alors comment peut-on lui imposer… et prétendre qu’il kaffar sans faire de détail. »[15] Sulaïmân ibn Sahmân a retranscrit les paroles précédentes de son Sheïkh sans en faire le moindre commentaire, ce qui a valeur de consentement. Au sujet d’un autre passage d’ibn Taïmiya, ibn Sahmân dit explicitement : « Les paroles d’ibn Taïmiya sont vraies et incontestables. Un homme sensé, et à fortiori un savant, ne peut nullement les contester. Nous y donnons foi et c’est exactement notre croyance. »[16]

 

À suivre…

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 

[1] Voir : fatâwâ wa masâil comprise dans majmû’ muallafat e-Sheïkh (2/3/21-22).

 

[2] Voir : sitta mawâdhi’ min e-sîra.

 

[3] Voir : e-rasâil wa e-shakhsiât comprise dans majmû’ muallafat e-Sheïkh (3/2/116).

 

[4] E-durar e-saniya (1/334-336).

 

[5] Majmû’ e-rasâil wa el masâil (1/247-248).

 

[6] Voir : kashf e-shubhataïn (p. 75-75), et e-dhiyâ e-shâriq (p. 371-372).

 

[7] Voir : ijmâ’ ahl e-sunna e-nabawiya (p. 160).

 

[8] Dans majmû’ el fatâwa (3/229).

 

[9] Voir : kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd inclus dans majmû’ muallafât e-Sheïkh (6/203-204).

 

[10] Voir : majmû’ el fatawa (2/175), et majmu’ e-rasâil wa el masâil (4/82, 85).

 

[11] Idem. (6/214-215).

 

[12] E-durar e-saniya (10/403).

 

[13] Majmû’ e-rasâil wa el masâil (1/197-198).

 

[14] Majmû’ el fatâwa (1/113).

 

[15] Kashf e-shubhataïn (p. 75-76).

 

[16] Kashf e-shubhataïn (p. 68).

IBN TAÏMIYA ET LES SAVANTS D’AIMMAT E-DA’WA  (4/4)

Plus loin, il répond à une accusation accolée à ibn ‘Abd el Wahhâb en disant : « Les paroles de Sheïkh el Islâm dans lesquelles il s’abstient de kaffar des cas particuliers font allusion à des questions bien précises, et pour lesquelles il est peut-être difficile pour certains gens de pénétrer les arguments… Leur opinion qui implique de renier les textes relève ainsi de la mécréance, mais nous ne taxons pas leur auteur de kâfir, car il est possible qu’une restriction fasse obstacle à notre jugement ; des restrictions comme l’ignorance, la méconnaissance du texte en question ou de ses arguments. Les Lois divines ne sont pas imposables aux hommes avant qu’elles ne leur soient parvenues.

 

Son texte [en parlant d’ibn Taïmiya]fait allusion aux innovateurs. D’ailleurs, il le dit explicitement lui-même. Après avoir exposé, en effet cette question où il cite certains leaders du kalâm, il conclut : « Il est possible, pour les questions subtiles, de ne paskaffar le fautif, contrairement aux questions claires et évidentes, ou qui touchent aux notions élémentaires de la religion. Auquel cas, il devient un mécréant sans la moindre hésitation. » »[1]

 

Or, nous avons vu à maintes reprises qu’aux yeux d’ibn Taïmiya la notion de subtilité est relative ; celle-ci varie en fonction des époques, des endroits et des personnes. De nombreux passages de ses ouvrages vont dans ce sens. Il va jusqu’à donner des circonstances atténuantes à des ignorants influencés par le jahmisme et le monisme-panthéisme,[2] alors que, comme nous l’avons vu plus haut, il kaffar leurs leaders. Mieux, il va jusqu’à trouver des excuses à des ignorants imprégnés du dogme ésotérique, l’une des croyances les plus éloignées de l’Islam. Qu’on en juge : « Les philosophesbâtinites sont des mécréants. Leur mécréance est évidente pour les musulmans, comme il le souligne lui-même – en parlant de Ghazâlî –ainsi que d’autres savants. Des musulmans beaucoup moins instruits et moins religieux se rendent compte de cette évidence, à condition bien sûr, qu’ils assimilent leur véritable discours. Sinon, leur mécréance peut, en effet, leur échapper. Certains musulmans qui n’ont pas conscience de leur gravité peuvent malheureusement s’en imprégner, mais ces derniers sont excusables en raison de leur ignorance. »[3]

 

Après s’être inspiré du passage d’ibn Taïmiya cité plus haut,[4] Sheïkh el ‘Uthaïmîn met en lumière la position des traditionalistes dans les questions du takfîr : « Ainsi, il devient clair que les paroles et les actes peuvent relever de l’apostasie ou de la perversité, mais cela ne veut pas dire que leur auteur soit un apostat ou un pervers sauf dans la mesure où les conditions requises pour le faire soient réunies (tawaffur e-shurût) et où toute restriction y faisant obstacle soit exclue (intifâ el mawâni’). »[5]

 

Par conséquent, avant de condamner une personne de kâfir, il faut considérer, comme nous l’avons vu, les deux principes suivants :

1-                  L’énoncé explicite des Textes que telle parole ou tel acte relève du kufr.

2-                  Que le statut en question (takfîr) soit applicable à une personne en particulier de sorte que les conditions pour le faire soient remplies et que toute restriction y faisant obstacle soit exclue.[6]

 

‘Abd e-Latîf explique qu’une erreur ne rend pas forcément mécréant (kâfir), pervers (fâsiq) ou désobéissant (‘âsî).[7] Et cela, conformément au Verset : [Seigneur ! Ne nous tiens pas rigueur de nos erreurs et de nos oublis].[8] Ce dernier donne la position de son arrière grand-père sur le sujet : « Sheïkh Mohammed – Allah lui fasse miséricorde – fait partie de ceux qui font preuve de plus de délicatesse et de précaution dans les questions du takfîr ; à tel point qu’il n’est pas formel sur takfîrd’un ignorant qui invoque quelqu’un en dehors d’Allah, parmi les habitants du royaume des morts ou autres, dans la situation où il n’a personne pour lui donner le bon conseil et pour lui faire parvenir la vérité faisant autorité contre tout dissident. »[9]

 

L’Imam Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb est l’auteur des paroles suivantes : « Le musulman qui fait un effort d’interprétation (mujtahid) peut prononcer des paroles dekufrsans le savoir. Si après qu’on l’ait averti de son erreur, il se repend sur le champ, il ne devient pas mécréant… »[10] Ce dernier fait la distinction entre ne pas connaitre le vrai sens d’une parole qu’on prononce et ne pas savoir qu’elle fait sortir de l’Islam. Si la première forme d’ignorance est excusable, ce n’est pas le cas pour la deuxième.[11] Son petit-fils, ‘Abd e-Rahmân ibn Hasan a des paroles qui vont dans ce sens.[12] C’est la raison pour laquelle, les savants établissent que le nouveau converti qui renie l’aspect obligatoire des actes d’adoration ne sort pas de la religion, sauf s’il persiste dans l’erreur, pour une raison ou pour une autre,  après en avoir été averti.

 

Conclusion

 

Ibn Taïmiya établit dans l’un de ses ouvrages qu’il n’est pas pertinent d’interpréter les paroles d’un auteur d’une autre façon que selon ses propres intentions.[13] Cela revient en effet à mentir sur lui qu’on en soit conscience ou non. Pour mieux comprendre ses passages ambigus, il incombe de regrouper tout son discours ; c’est en tout cas, ce que réclame la rigueur scientifique. Que dire alors si le passage sur lequel règne la polémique, comme c’est le cas ici, est clair comme l’eau de roche. Il parle de lui-même. Que dire encore si les savants venus après lui qui, de surcroit, sont spécialistes de ses ouvrages reprennent à leur compte ce fameux passage et se chargent de l’éluder. Passage que nous reproduisons ici en entier tant celui-ci est éloquent. Sheïkh el Islam a dit : « Quant à ces ignorants, comparables aux païens et aux chrétiens, ils s’inspirent dehadîthfaibles ou inventés, de citations de savants qui ne font pas autorités, ou qui leur sont mensongèrement imputées, ou tout simplement qui sont des erreurs de leur part…

 

Je ne connais personne ayant rapporté une annale d’un savant de référence autorisant d’invoquer une créature. Certes, certains dévots comme le poète Sheïkh Yahyâ e-Sarsarî[14] et Sheïkh Mohammed ibn e-Nu’mân,[15] auteur de kitâb el mustaghîth bi e-Nabî fî el yaqazha wa el manâm, en vantent les vertus dans leurs ouvrages.

Certes, ces gens-là sont des pieux et des religieux, mais ils n’ont aucun lien avec les savants qui sont à même de pénétrer les intentions du Législateur. C’est de ces derniers que l’on prend les enseignements de la religion, car experts en Loi (le licite et l’illicite). Quant à ces dévots, ils ne se basent sur aucune preuve textuelle ni même une parole d’un savant de référence. Leurs pratiques sont plutôt à mettre au compte de l’usage. Beaucoup de gens en effet ont pris l’habitude de se tourner vers leurs Sheïkhdans les moments difficiles pour lui solliciter son aide.

Je connais personnellement certains Sheïkhconnus pour leur ascétisme et leur piété, s’avancer solennellement vers la tombe d’Abd el Qâdir pour lui implorer le secours.

 

Cette pratique est courante chez beaucoup de gens. Lorsqu’on attira l’attention de certains émérites parmi eux, ils revinrent tout de suite à la raison et comprirent que leur pratique n’avait rien à voir avec l’Islam, mais qu’elle était plus comparable à l’adoration des idoles. Il est connu de façon élémentaire que le Prophète (r) n’a jamais légiféré à sa communauté d’invoquer qui que ce soit parmi les morts : Prophètes, gens pieux, etc. ni à travers la formule d’el istighâtha (appel au secours) ou autre ni à travers la formule d’el isti’âna(appel au soutien) ou autre. Il n’a pas légiféré non plus à sa communauté de se prosterner pour un mort ou en sa direction, etc. Nous savons plutôt qu’il (r) a formellement interdit ce genre de pratiques qu’il a jugées comme relevant de l’association interdite par Allah et Son Messager.

 

Néanmoins, en raison de l’ignorance prépondérante, du nombre restreint de personnes initiées aux traces de la Prophétie parmi les dernières générations, nous ne pouvons pas condamner facilement les gens d’apostats pour ces raisons ; pas avant de les avoir mis au courant des enseignements du Messager stipulant la non-pertinence de leurs pratiques.C’est pourquoi, je n’ai jamais démontré ce point à des personnes imprégnées de l’Islam sans qu’elles ne se remettent en question en disant : c’est le principe même de la religion. Certains grands doyens expérimentés parmi nos amis disaient : c’est la plus grande chose que tu ais pu nous expliquer, car ils avaient pleine conscience que cela concernait le principe élémentaire de la religion. »[16]

 

Allah est Celui à qui nous demandons notre aide et sur qui nous reposons notre confiance ! Que les Prières et le Salut d’Allah soient sur notre Maître Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

 


 

[1] Idem. (p. 83).Voir également : Kashf el awhâm wa el iltibâs d’ibn Sahmân (p. 48).

 

[2] Voir : E-rad ‘alâ el bakrî (2/494) et Majmû’ el fatâwa (1/113).

 

[3] Sharh el asbahâniya (p. 628-629).

 

[4] Idem. (10/372).

 

[5] El Qawâ’id el Muthla fi Sifât Allah wa Asmâihi (p. 92).

 

[6]Voir : Mawqif ahll Sunna wa el Jamâra min Ahl el Ahwa wa el Bida’ (1/233).  

 

[7] Manhaj e-ta-sîs wa e-Taqdîs (p. 75-75).

 

[8] La vache ; 286

 

[9] Minhâj e-Ta-sîs wa e-Taqdîs (p. 98-99).

 

[10] Kashf e-shubuhât (p. 24).

 

[11] Fatâwa wa masâil inclues dans majmû’ muallafât e-Sheïkh (2/3/39).

 

[12] Voir : majmû’e-rasâil wa el masâil (4/370).

 

[13] Voir : el jawâb e-sahîh (4/44).

 

[14] Poète soufi ultra hanbalite (m. 656 h.).

 

[15] Maitre soufi ultra malékite  (m. 656 h.).

 

[16] El istighâtha (2/731).

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